Parmi les croyances toxiques à l’origine de nos souffrances psychiques, le syndrome de l’imposteur fait carton plein en milieu professionnel.
Les personnes qui en souffrent, consacrent une partie excessive de leur énergie à douter de leur légitimité, à se défendre par anticipation du procès en incompétence qui les menace… Au point souvent de provoquer le mal qu’elles redoutent, et/ou des épuisements professionnels graves.
Dans ce troisième et dernier épisode sur le burn-out, je m’intéresse donc au rôle des croyances. La stratégie pour en sortir est, comme toujours, inspirée par l’école de Palo Alto.
Histoire vécue.
Aude est la première femme DRH de cette entreprise, et de très loin la plus jeune. Ses prédécesseurs étaient tous des vieux briscards, dans un secteur aux luttes sociales parfois violentes. Sa nomination marque la volonté du groupe de moderniser sa culture. Aude a été choisie par le DRH Groupe pour son expérience en matière de nouvelles pratiques managériales et d’accompagnement des transformations culturelles.
Aude prend son poste dans un vaste bureau au dernier étage de l’immeuble, où les services de la DRH font face à la Direction Générale. Aucun autre service ni bureau de direction à cet étage. Mazette se dit-elle, les Ressources Humaines sont à l’honneur ici ! Aussitôt, elle va saluer la secrétaire de Direction et prendre rendez-vous avec son nouveau patron. L’assistante lui propose alors, mal à l’aise, un rendez-vous à une semaine de là. Par la vitre de son bureau, Aude voit le DG lire son journal.
Aude profite de cette semaine pour aller vers les autres. Elle rencontre tous les membres du Codir, afin de connaître leurs attentes vis-à-vis des Ressources Humaines en général et d’elle en particulier. La plupart de ses collègues semblent ravis de l’accueillir et lui souhaitent bon courage.
Très vite, Aude se rend compte que son bureau sert principalement de chambre d’enregistrement : des demandes d’intérimaires déjà validées par les membres du Codir, des demandes de formation refusées par les managers, des règlements de litiges qui ont tellement pourri dans les services qu’ils ne peuvent plus être résolus que par avocats interposés. Son prédécesseur l’avait prévenue : dans le regard des autres, la DRH c’est ” la poubelle”.
Quant aux partenaires sociaux, ils manifestent bruyamment leur déception. Ils se plaignent de « ne plus avoir d’interlocuteur à qui l’on puisse faire un peu confiance à la DRH ». La déléguée CFDT résume à Aude ce qu’elle qualifie d’avis général : « Mettre une femme, inexpérimentée de surcroît, à un poste comme le vôtre montre bien que le Groupe veut nous amuser, pas discuter avec nous. Vous verrez ma p’tite, vous n’aurez jamais aucune légitimité ici et devrez aller quémander l’aval de votre DRH Groupe pour la moindre décision. J’espère pour vous que votre ego supportera cette position d’infériorité systématique. »
Au bout de quelques semaines, Aude a acquis la conviction que tout le monde, à part le DRH groupe qui l’a recrutée, la juge incompétente. Le syndrome de l’imposteur est déjà au travail.
Et voilà que le DRH groupe se fait dégager manu militari par le nouveau Président. Au comité de Direction Groupe auquel Aude participe la semaine suivante, elle se fait rabrouer sévère par celui qui se fait déjà surnommer « le père fouettard ».
– Mais qu’est-ce que je lui ai fait ? demande-t-elle au Directeur du Contrôle de Gestion chez l’Italien où ils sont allés se réconforter dans un plat de pâtes.
– Mais rien ! Rien du tout ! Il est comme ça avec toute le monde ! Concentre-toi sur les relations sociales, tu vas te mettre tout le monde dans la poche tellement elles ont été négligées depuis 20 ans.
– Tu parles ! faut voir comment me parle la déléguée CFTC !
– Mais c’est une incompétente notoire ! Le délégué CGT il te parle mal, lui ?
– … Non… mais il pose des questions désagréables sans arrêt.
– Il est dans son rôle ! Lui, c’est un mec bien. Respecte-le et il te respectera.
Ignorée par son DG, abandonnée par son DRH Groupe, Aude se retrouve seule à piloter les relations sociales dans une entreprise où elles n’ont jamais été très constructives. Aude sait si bien qu’elle est attendue au tournant, qu’elle entreprend de prouver à ses interlocuteurs qu’elle est capable de réussites insoupçonnées.
Les deux croyances sur lesquelles se construit son burn-out sont :
On notera que si ces croyances sont des généralisations excessives, elles ne sont pas totalement délirantes. Il y a de quoi douter de soi dans cet environnement où quelques personnes qui s’emploient à la dévaloriser en permanence.
On notera aussi qu’à partir de ce moment-là, Aude est devenue sourde aux tentatives d’objectivation de la situation. À celles du Directeur du Contrôle de Gestion, entre autres.
L’investissement d’Aude auprès des opérationnels quand elle est arrivée porte ses fruits : le nombre de plaintes pour dysfonctionnements managériaux baisse de manière spectaculaire.
Les Délégués du Personnel, n’ayant plus vraiment de plainte à lui remonter, se mettent à se plaindre de broutilles qu’Aude met un point d’honneur à régler sur le champ.
Elle prépare ses négociations au point de ne plus rien avoir à concéder aux Organisations Syndicales ; frustrés, les délégués deviennent désagréables avec elle.
Anticipant un énième bras de fer avec eux, elle gère seule la refonte de la protection sociale de l’entreprise et, plutôt que de passer par un accord négocié, soumet le choix final au référendum des salariés. Furieux, les Délégués Syndicaux et les élus du CSE « montent » se plaindre au tout nouveau DRH Groupe (qui n’en demandait pas tant pour pouvoir marquer son nouveau territoire).
Entre temps, les opérationnels auprès desquels elle s’était beaucoup investie au début de sa prise de poste sont déçus de la trouver de plus en plus inaccessible, sauf à ceux qui traînent encore au bureau à pas d’heure le soir.
Voulant montrer l’exemple en postant sur le réseau social d’entreprise qui a – enfin ! – remplacé la newsletter, Aude s’y colle à 2 heures du matin et finit par publier une énorme ânerie pensant faire de l’humour.
Dès le lendemain matin, branle-bas de combat à tous les étages. Le réseau social doit être fermé pour contenir le déferlement d’incompréhension des salariés, attisé par la déléguée CFDT à un moment stratégique pour les négociations annuelles obligatoires.
Le nouveau DRH Groupe, trop content de saisir cette occasion de prendre le pouvoir sur cette collaboratrice qu’il n’a pas choisie, envoie Aude en vacances pour 15 jours.
A son retour, Aude trouve ses tiroirs et son ordinateurs vidé. Le DRH Groupe lui met direct un projet de rupture conventionnelle sous le nez. « T’es vraiment pas à la hauteur de ce que j’attends d’une DRH », lui assène-t-il. Heureusement, le Directeur du Contrôle de Gestion et la Directrice Commerciale l’aident à négocier son package de départ. Aude est si anéantie qu’elle n’est plus capable de rien. Le jour de son départ, une cheffe de de service poste « On te regrettera, toi au moins tu en avais » sur le réseau social d’entreprise. Son post fait des milliers de like et de commentaires. En majorité, des compliments pour Aude qui ne les lira pas.
Après 6 mois de congé sabbatique au bout du monde pour se changer les idées, Aude a eu besoin d’effectuer un travail sur soi. Entre coaching et psychothérapie, elle a choisi la seconde. À juste titre, elle estime avoir besoin de reconstruire son estime de soi avant d’affronter le monde du travail. Ce travail pour reprendre confiance en elle a suivi 3 étapes.
Pendant toute cette phase, la psy a laissé Aude dérouler son récit. Elle n’a jamais tenté de la contredire, ni d’objectiver la situation comme l’avait fait, sans succès, le Contrôleur de Gestion.
Puis la thérapeute a demandé à Aude d’écrire le récit de son burn-out. À cette occasion, elle lui a demandé de se souvenir très précisément de tout ce qui lui avait été dit sur son incompétence, par chacun de ses interlocuteurs.
Quelques semaines plus tard, Aude est revenue avec un manuscrit fourni. Et là, surprise, pas grand-chose sur les déclarations d’incompétence. « En fait, il n’y avait que la déléguée CFDT et le DRH Groupe n°2, qui me l’ont dit en face. Même le Président ne m’a rien dit d’aussi direct. Il était odieux, c’est tout ».
Aude a également exploré le thème de la solitude. Là encore, elle se rend compte qu’il y avait des tas de gens prêts à l’aider, au Codir et dans les services. Elle a du reste gardé quelques relations avec d’anciens collègues, qui sont devenus des copains.
Au bout du compte, Aude a fini par aboutir elle-même à une conclusion étonnante :
« Au fond, j’étais tellement occupée à prouver ma compétence technique que j’ai oublié d’être compétente relationnellement ».
Le DG à qui elle a fait part de cette leçon de vie n’a jamais regretté de l’avoir embauchée.
On n’aide pas une personne qui s’auto-intoxique avec une croyance en lui disant qu’elle fait fausse route. Au contraire, les tentatives de raisonner ces personnes ont plutôt tendance à aggraver le problème.
Or, certaines croyances sont vraiment difficiles à rejoindre pour l’entourage. Mais c’est pourtant la première étape indispensable pour q’une personne qui s’est enfermée dans une logique irrationnelle accepte de faire confiance à quiconque veut l’aider, puis de réexaminer les faits pour assouplir son interprétation des choses.
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