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Un appel d’offres de coaching est-il rentable pour des freelances ?

Mis à jour le : 25 octobre 2022

Sur un marché du coaching de plus en plus encombré, un appel d’offres de coaching peut sembler attractif pour des coachs indépendants soucieux de trouver des débouchés commerciaux. En effet, ces appels d’offres sont généralement émis par de grandes organisations. Ces dernières, publiques ou privées, comptent des milliers de cadres à coacherEt ont généralement de gros besoins en matière d’accompagnement des transformations managériales. Les coachs qui remportent ces mises en concurrence peuvent espérer une pression concurrentielle réduite et des volumes d’activité confortables pendant la période de validité du marché. À première vue donc, ça vaut le coup d’investir pour répondre à un appel d’offres de coaching.

Mon expérience m’amène à nuancer ce propos. En effet, même pour les chanceux qui remportent un appel d’offres de coaching, une seule chose est certaine : la quantité de travail gratuit à fournir pour devenir (et rester) titulaire. Tout le reste, notamment l’accès aux commanditaires, la connaissance des besoins des opérationnels, les volumes et leur répartition entre les titulaires, est à la discrétion de l’organisation cliente. En clair, les leviers d’accès à la commande effective. Dans ces conditions, linvestissement en temps et en énergie est, à l’aune de mon expérience, disproportionné. Du moins pour des freelances ne disposant pas d’appuis personnels au sein de l’organisation.

Consultante depuis 30 ans, coach depuis 20 ans et indépendante depuis 10 ans, je partage mes expériences avec vous dans ce blog. Les bonnes et les moins bonnes, sans faux-semblants. Elles sont subjectives, et n’ont aucune valeur de vérité universelle. À vous de vous faire une opinion.

Un appel d’offres de coaching : une chance sur un marché plus concurrentiel que jamais

C’était il y a 3 ans, y a un siècle, y a une éternité. Je reçois une invitation à répondre à un appel d’offre d’un Grand Groupe soumis au code des marchés publics. Celui-ci renouvelle son pool de coaches pour 3 ans via un appel d’offres ouvert.

Tu me plais

Ravie et flattée d’avoir reçu cette invitation, je rédige un dossier de candidature tout pimpant. Objectif de ce 1er tour : vérifier l’éligibilité de ma société à cette mise en concurrence. La constitution du dossier de candidature ne me prend que quelques heures. Et grâce à la dématérialisation des marchés, j’envoie mon dossier par voie électronique en quelques minutes. Ça change des pavés de papier qu’il fallait envoyer en recommandé il y a encore quelques années ! Bref, je passe ce 1er tour sans encombre, nous ne sommes plus que… 200 candidats.

Vient maintenant le 2nd tour, rédiger un mémoire technique. Le cahier des charges étant assez large, je mobilise plusieurs partenaires en vue d’une co-traitance. Mon but : créer une offre différenciante et adaptable à des demandes que je devine très hétérogènes. Je sollicite 5 partenaires pour monter cette offre dont nous sommes tous très fiers. Tous étant freelance comme moi, le temps qu’ils investissent dans cette opération est intégralement non rémunéré.

Choses sérieuses

Je demande à un ami acheteur de s’improviser formateur pour savoir répondre aux différentes étapes de l’appel d’offres. Notamment, je veux me préparer pour l’oral qui est la prochaine étape. Cet ami ouvre des yeux effarés quand je lui décris ce que je connais du processus. Ce qui l’étonne le plus, c’est que pour ce Grand Groupe, le temps de travail semble être une ressource illimitée. À ce sujet, voir le petit jeu que je vous propose à la fin de cet article.

Je répète avec mes partenaires, listant les points clés à mentionner pendant l’oral, travaillant à faire ressortir nos points forts… Tout le monde prend la chose très au sérieux. La charge de travail total de toutes les personnes impliquées jusque-là dans la réponse à cet appel d’offres de coaching doit déjà friser les 7 jours.

L’oral, reporté plusieurs fois pour cause de confinement a finalement lieu en visioconférence devant un jury représentatif de toutes les entités du Grand Groupe. Accompagnée d’un de mes partenaires, je passe ce 3ème tour avec les honneurs, puisque notre dossier fait partie des 50 soumissionnaires toujours dans la course. Si nous n’avions pas été confinés, nous aurions sablé le champagne !

Argent trop cher

4ème tour, les offres commerciales. Là encore, des heures de travail à réaliser le chiffrage de notre offre. Ça passe, encore une fois…. Mais nous sommes encore loin de la fin de cette course d’obstacles !

Me voilà convoquée à une téléréunion de « négociation commerciale ». L’acheteur me dit sans ambages que les tarifs, c’est les siens et rien d’autre. Quand j’évoque la possibilité d’une contrepartie, il me répond “si vous n’êtes pas contente, j’ai d’autres candidats sous le coude“. Ça a le mérite d’être clair, à défaut de correspondre à l’idée que je me fais de la négociation. En raccrochant, je me demande pourquoi ce Grand Groupe ne fait pas comme beaucoup d’autres Groupes pour lesquels je travaille, qui annoncent les tarifs dès le départ. Cela permettrait notamment à cet acheteur de gagner du temps… Celui-ci s’étant plaint pendant la conversation de ne pas être rémunéré à la hauteur de son temps de travail. À qui le dites-vous, monsieur le salarié…

Je revois et renvoie mon offre commerciale.

Je m’voyais déjà

6ème et dernier tour enfin, plus d’un an après le début de la procédure d’appel d’offres de coaching… Et quelque chose comme 10 jours de travail pour mes partenaires et moi. Les 30 heureux élus rencontrent 1 par 1 la responsable du coaching à l’Université du Groupe. Elle souhaite pouvoir pré-affecter chacun à des régions ou à des sujets particuliers. 

Mon équipe et moi exultons. Ça y est, on a reçu l’avis d’attribution ! Nous avons enfin remporté cet appel d’offres de coaching !!! Nous ne sommes plus que 30 concurrents à nous partager en exclusivité un marché interne de milliers de coachés potentiels. Autant dire la promesse de revenus réguliers ! D’autant que l’acheteur m’a précisé que le Grand Groupe doit faire travailler tous les titulaires. Égalité de traitement oblige. Je promets à tous mes partenaires de rémunérer leur investissement sur la première mission que je vendrai, qu’ils interviennent ou non. 

Une désillusion à la mesure de notre investissement

On t’avait prévenue

Assez rapidement, je reçois une invitation à répondre à une nouvelle consultation. Pour du coaching d’organisation, cette fois. À la lecture du dossier de consultation des entreprises (DCE), je me rends compte que ma société n’est pas éligible. Qu’à cela ne tienne, je sollicite un partenaire répondant aux critères administratifs, qui me répond, désabusé :

J’ai passé des heures carrées à répondre aux appels d’offres de ce Grand Groupe et à les remporter, tout ça pour rien ou presque. Ni moi, ni aucun de mes collègues consultants n’avons jamais rentabilisé notre investissement auprès d’eux par le biais d’un marché cadre.” 

À bonne entendeuse.

Gaston y’a l’téléfon qui son…

L’évolution de la situation sanitaire me permet enfin de reprendre une activité en face-à-face à Paris. Je tente alors de joindre la responsable coaching à l’Université du Groupe. Pas de réponse. Je lui envoie des idées d’intervention innovantes pour répondre aux enjeux du retour au bureau dans un monde hybride. 

… Mais y’a jamais person qui y répond.

Tourne tourne, petit moulin

Tous les 1 à 3 mois, je reçois une demande de pièces administratives à mettre à jour sur le portail des Achats. Non, je n’emploie pas de travailleurs clandestins. Oui je dispose d’une assurance responsabilité civile. Voilà un SIRET à jour. Merci pour la 4ème mise à jour de votre procédure de facturation dématérialisée… Que j’ai hâte de tester avec une vraie facture. Pendant ce temps, le compteur de travail gratuit continue de tourner. Au ralenti certes, mais il tourne.

Un peu d’espoir

Un an après mon entretien de pré-affectation, je reçois enfin une demande d’entretien de la part d’une responsable RH d’une des filiales du Groupe. Cette rencontre se passe on ne peut mieux. Ô joie, la dame semble enfin avoir des projets de coaching à me confier. Elle m’annonce une mise en contact très prochaine avec un directeur de site à coacher.

Puis, plus rien.

The sound of silence

Je tente de la recontacter, ainsi que la responsable coaching à l’Université du Groupe. 

Pas de réponse.

Z’avez pas vu Mirza ?

Un jour, je reçois de l’Université du Groupe un mail envoyé à la cantonade. La maîtrise d’ouvrage souhaite savoir si, parmi les 30 heureux titulaires du marché, l’un serait certifié dans l’outil xyz. Ils n’ont pas gardé trace des compétences et outils de coaching que nous avons dû décrire par le menu dans nos réponses à l’appel d’offres ? Pas de bol, je ne suis pas formée à cet outil, ce que je réponds poliment par courriel.

Puis, plus rien.

En recevant ta lettre

Près de 3 ans après le démarrage de cette folle aventure et 2 ans après la signature de mon contrat, je reçois un mail de la direction des Achats. Ils me demandent de signer une lettre de reconduction de mon contrat pour 1 an, moyennant l’envoi d’un tableau détaillé de toutes les prestations réalisées pour le compte du Grand Groupe depuis mon référencement.

Cette fois, c’est moi qui suis sans voix.

Ça va pas être possible

Sur ces entrefaites, la responsable RH de filiale que j’avais rencontrée il y a un an me contacte. Elle me demande un lundi soir un entretien pour le mardi matin. Sa demande est tellement urgente qu’elle ne peut attendre 3 jours que je sois rentrée d’un séminaire à l’étranger. Je jongle avec mon agenda pour trouver ½ heure le lendemain matin. Là, ce qu’elle me demande me semble… Difficile à comprendre. Quand je lui demande si je peux m’entretenir avec la personne demandeuse de ce coaching avant de rencontrer la personne à coacher, elle se ferme et me dit qu’elle revient vers moi. En raccrochant, je sais déjà qu’il va falloir vérifier que cette demande est éthique avant d’y donner suite, et que c’est loin d’être gagné.

Depuis, plus rien.

Tirer les enseignements de cet appel d’offres de coaching

Je suis venu te dire que je m’en vais…

J’ai laissé passer la date-limite de renvoi de ma lettre de reconduction. 

Mon entourage a bien essayé de me convaincre qu’alimenter le petit moulin à mises à jour administratives ne me coûtait pas grand-chose. C’est objectivement vrai.

Le temps englouti dans cette affaire n’est plus la question. En tout cas pas le mien, car celui de mes partenaires est un problème pour moi. Même si je travaille pour ce Grand Groupe en 2023, je ne gagnerai jamais de quoi défrayer tout le monde.

La question, c’est : « quelles sont mes chances réelles de travailler pour ce Grand Groupe ? ». 

Comme dirait l’autre, « La question, elle est vite répondue ! »

Faut pas péter plus haut que son cul

À l’aune de cette expérience de réponse à un appel d’offres de coaching, mais aussi des expériences que j’ai eues en cabinet de conseil, mon opinion est la suivante :

Remporter un marché cadre sans engagement ne suffit pas

Il faut avoir accès aux interlocuteurs et aux leviers de commande. En clair, sans alliés à l’intérieur de l’organisation, qui vous feront travailler, c’est mission quasi-impossible.

Il faut avoir des ressources disponibles en quantité et en qualité

Le temps à investir pour répondre à l’appel d’offres, puis aux diverses sollicitations administratives doit être absorbable par le prestataire qui répond. 10 jours non facturés, pour un cabinet qui emploie des salariés qui, a priori, ne facturent pas pendant qu’ils répondent à l’appel d’offres, c’est jouable. 10 jours de commercial et d’administratif sans retour sur investissement pour un freelance, je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure utilisation à faire de son temps non facturé.

Si la photo est bonne…

Ou plutôt, si la lecture de cet article vous a intéressé, je vous invite à lire également : Vivre du coaching : la réalité derrière les fantasmes

Viens jouer avec moi

Calculez le temps de travail nécessaire côté Grand Groupe pour cet appel d’offres de coaching

  • Rédaction de l’appel d’offres
  • Relecture et validation du DCE : cahier des charges, règlement de consultation
  • Publication de l’appel d’offres au journal officiel et sur les plateformes de dématérialisation
  • Réception des offres, impression, lecture et sélection de 300 candidatures dématérialisées
  • Réception des offres, impression, lecture et sélection de 200 offres dématérialisées
  • Organisation et passation de 100 oraux d’1h (6 personnes par jury)
  • Réception des offres, impression, lecture et sélection de 50 offres commerciales
  • Organisation et conduite de 50 « négociations commerciales»
  • Impression, lecture et sélection de 30 offres commerciales finales
  • Rédaction et envoi de 30 contrats
  • Organisation et conduite de 30 entretiens de pré-orientation
  • Les cornichons.

J’ai caché 18 chansons françaises dans cet article : saurez-vous les retrouver ?

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