Rencontrons-nous !
Quand je dis qu’Emmanuelle Piquet est la papesse de la lutte contre le harcèlement scolaire, c’est autant par admiration que par goût pour l’insolence.
L’admiration, tout d’abord. Emmanuelle incarne ce que j’apprécie chez une thérapeute. Elle prend fait et cause pour ses patients. Elle se met en rogne quand elle les entend décrire les humiliations et les violences qu’ils et elles subissent. Elle s’engage émotionnellement auprès de chacun·e. Pour des victimes de brimades, cet engagement de la thérapeute vaut de l’or, parce qu’il leur donne de la force pour se relever.
Ce que j’admire aussi chez Emmanuelle, c’est son talent pour transmettre. De livres en conférences, elle a, plus que quiconque fait connaître l’École de Palo Alto au grand public français.
Pour ce qui est de l’insolence et de l’humour, ils sont partout dans le ton d’Emmanuelle et dans les stratégies qu’elle suggère à ses patients pour les armer face à leurs agresseurs.
À la faveur du cyber-harcèlement dont la Première Ministre finlandaise a été récemment la cible, j’ai eu envie d’écouter Emmanuelle sur un parallèle qu’elle a déjà fait : celui entre harcèlement scolaire et harcèlement au travail. Cette rencontre est allée bien au-delà de mes espérances. Elle a tout d’abord mis des mots précis sur l’apport de l’École de Palo Alto en entreprise. Elle m’a aussi remis les pendules à l’heure sur la différence entre violence et harcèlement. Enfin, elle m’a permis de clarifier un lien qui n’était pas clair pour moi, celui entre harcèlement et sexisme.
Première partie.
Depuis 1 an, je suis la grand-mère d’Arthur. C’est sans doute ce qui me définit le mieux en ce moment. Je vis dans les vignes du Beaujolais, avec mon compagnon et mon chat Poutine. Je l’ai baptisé comme ça parce qu’il n’est pas toujours hyper sympa.
Professionnellement, je me définis comme une thérapeute systémique et stratégique. Mon métier de base, c’est la clinique. Depuis 15 ans, je reçois au moins un jour par semaine des patients petits et grands à mon cabinet. En parallèle, j’ai développé d’autres missions. Je forme et supervise des coachs et thérapeutes, donne une centaine de conférences par an et suis l’autrice d’une douzaine de livres sur l’école de Palo Alto.
C’est assez chiant comme présentation, non ?
Non…
Quand j’avais 20 ans, un oncle psychiatre m’a mis dans les mains un bouquin coordonné par Watzlawick. Et pas le plus facile, c’était L’invention de la réalité. Je suis tombée amoureuse hystérique de ce que j’ai lu et j’ai tout de suite voulu en faire quelque chose. Imagine ! À l’époque la seule approche thérapeutique, c’était la psychanalyse. Dans ce contexte, ce qu’écrivait Watzlawick, c’était de la bombe.
Cela étant, j’avais démarré mes études en Ressources Humaines, je les ai poursuivies et je suis devenue DRH. Mais j’ai toujours gardé un œil sur l’École de Palo Alto. Quand la première formation à l’approche systémique et stratégique s’est organisée en France, j’ai demandé à mon entreprise de m’y envoyer au titre de la formation continue.
Oui ! C’est un modèle de résolution de problème qui donne des résultats géniaux. Surtout en entreprise où les relations sont moins souffrantes qu’au sein des familles ou des couples, parce que les enjeux affectifs y sont souvent moindres.
Ce qui fait le plus de mal dans les entreprises, ce sont les problèmes relationnels. Or, les entreprises n’ont pas de solutions relationnelles à y apporter. Elles ont des solutions organisationnelles, disciplinaires, juridiques, éventuellement de la formation… mais rien de relationnel.
Au fond, ce que j’aime le plus, c’est le one-to-one. J’ai fini par vendre les parts de la société dans laquelle je travaillais, puis j’ai créé mon cabinet. Assez vite, ma clientèle s’est composée d’ados et d’enfants. Tu sais, chaque thérapeute attire un type de clientèle. Étrangement, dans la mienne, il n’y a ni couples ni dépressifs. J’aime bien les gens qui se posent des questions, les gens un peu obsessionnels, tu vois ?
J’ai fait un peu comme les sœurs Tatin. Je recevais des enfants et des adolescents pour des diagnostics très différents d’encoprésie, d’anorexie, d’attaques de panique… Et quand je leur demandais « Et comment ça se passe dans la cour de l’école ? » la plupart du temps, ils répondaient « super mal ». Quel que soit le diagnostic.
Je me suis alors rendu compte que j’étais face à un problème de santé publique, auquel personne n’avait de solution.
Je me suis alors mise à réfléchir comme une forcenée pour trouver des solutions aux situations de harcèlement à l’école. J’ai ainsi modélisé une façon d’intervenir en m’appuyant sur les prémisses de l’École de Palo Alto. Puis TEDx Paris m’a donné une tribune pour la conférence Mieux armer les enfants contre le harcèlement scolaire, fin 2013. Les éditions Payot, qui étaient dans la salle, ont embrayé. Nous avons vite trouvé un terrain d’entente pour publier Te laisse pas faire ! Aider son enfant face au harcèlement à l’école.
Fondamentalement, les structures relationnelles sont les mêmes. Il m’arrive souvent de donner, dans la même journée, les mêmes conseils à des collégiens qui se font harceler dans la cour ou sur les réseaux, et à une salariée victime de harcèlement sur son lieu de travail.
Ce que j’observe, du reste, c’est que parmi les adultes qui subissent des actes de harcèlement, beaucoup me disent « d’aussi loin que je me souvienne, ça a été difficile avec les autres et je n’ai jamais su comment réagir ». Beaucoup d’adultes ont fait, enfants, des apprentissages de contexte qui ont installé et maintenu leur vulnérabilité face aux actes de maltraitance.
Avant tout, les enfants ont peur que le harcèlement s’amplifie. Ils craignent de faire mal à leurs parents, ou que parler aux adultes ne fasse qu’empirer la situation… Au bureau, les adultes éprouvent ces peurs-là : que les maltraitances répétées s’aggravent, que l’intervention hiérarchique mette de l’huile sur le feu… Mais ils ont surtout peur de perdre leur job.
Sur le lieu de travail, les actes de harcèlement sont beaucoup plus insidieux. Les adultes savent que s’exposer à une plainte pour harcèlement, c’est encourir des sanctions sévères, du disciplinaire jusqu’au pénal. C’est pourquoi les campagnes de harcèlement se font d’une manière si discrète qu’un salarié victime peut être complètement isolé sans que personne ne s’en rende compte. Et quand on interroge les auteurs et les témoins, ils disent toujours : « non mais ça va quoi, c’était pas grave. Juste une petite mise à l’écart… ».
À l’école, les choses étaient plus violentes, plus directes… jusqu’au moment où les adultes s’en sont inquiétés. L’intérêt même des adultes pour les faits de harcèlement a poussé les enfants à biaiser pour échapper à la sanction. Ça rend les signalements et la prévention du harcèlement d’autant plus difficiles.
Pas du tout ! La Guerre des Boutons, c’est violent, mais ce n’est pas une histoire de harcèlement. C’est l’histoire d’une escalade symétrique entre deux bandes : on se bat, on gagne une fois, on perd la fois d’après, on souffre, on a mal, mais on se bat, des deux côtés. Plus un côté se bat, plus l’autre riposte.
Une situation de harcèlement, à l’inverse, c’est une escalade complémentaire. Plus la victime se recroqueville, s’efface, cherche à se faire oublier… Bref plus la victime se met en position basse, plus l’auteur du harcèlement adopte une position haute, multipliant les vexations, les violences ou les mauvais traitements. C’est le même mécanisme de domination relationnelle que dans les violences conjugales.
Dans tous les cas, j’aide les salariés ou les élèves victimes à sortir de sa position basse et à remonter en position haute. 50% du temps, le fait que les victimes se sentent armées et prêtes à en découdre à la prochaine incartade suffit à faire cesser le harcèlement. C’est très animal : les harceleurs sentent quand leur mauvaise foi et leurs conduites vexatoires ne vont plus fonctionner.
Chagrin Scolaire est référent « souffrance au travail » auprès du Conseil Général de Saône et Loire. Nous pouvons être sollicités par la médecine du travail. Je pense qu’il faudrait mieux former la médecine du travail pour faciliter la mise en contact entre les personnes qui souffrent de harcèlement au travail et des thérapeutes systémiques. C’est l’approche la plus respectueuse, la moins pathologisante, et surtout, celle qui permet aux victimes de faire des apprentissages relationnels qu’elles pourront réutiliser par la suite.
Je leur conseille toujours de s’assurer que les intervenant·e·s soient formé·e·s et supervisé·e·s à l’approche systémique et stratégique. Pas juste des coachs qui déclarent forfait dès que l’accompagnement va s’aventurer sur un terrain psychologique. Les problèmes de souffrance au travail, de harcèlement ou de burn-out sont des problèmes relationnels. Avec les autres et avec soi-même ! Leur résolution implique non seulement que les intervenant·e·s soient formé·e·s à la prise en charge de ces aspects, mais aussi que la confidentialité soit assurée tout au long de l’intervention. Or comment assurer la confidentialité si les coachs vont voir la DRH pour dire « je m’arrête là, le reste relève d’un accompagnement psy » ! Et j’insiste sur la nécessité de la supervision. Ces accompagnements requièrent énormément de recul pour bien lire les dynamiques relationnelles à l’œuvre.
Si la lecture de cette première partie vous a intéressé·e et que vous voulez connaître le point de vue d’Emmanuelle sur le harcèlement sexiste et sexuel,
Également, si vous voulez savoir comment 4 jeunes femmes médecins ont fait cesser les agissements et propos humiliants du mandarin qui leur servait de supérieur hiérarchique et de harceleur,
Enfin, si vous avez envie de savoir ce qu’aurait pu répondre Sanna Marin, la première ministre finlandaise, pour recouvrer sa dignité face aux insultes et au humiliations dont elle a été victime…