Logo Bridge the Gap with Cécile Guinnebault
Contact

Le harcèlement sexiste, c’est la double peine !

Mis à jour le : 7 septembre 2022

Emmanuelle Piquet, thérapeute, conférencière et autrice d’une douzaine de livres sur l’approche de Palo Alto, m’a accordé un entretien fleuve. Sur le thème du harcèlement en général, de l’école au lieu de travail, des insultes et brimades répétées jusqu’au harcèlement sexuel, du harcèlement de cour d’école à celui sur les réseaux sociaux. Sa thèse, c’est que quel que soit le lieu et le milieu, l’âge et les moyens utilisés, il y a des structures relationnelles communes à toutes les situations de harcèlement. Pour elle, c’est en armant les victimes sur le plan relationnel que l’on lutte efficacement contre les situations de harcèlement Et que les victimes peuvent s’en sortir durablement.

Dans une première partie, Emmanuelle a généreusement partagé son point de vue sur les parallèles entre harcèlement scolaire et au travail.

Aujourd’hui, je vous livre une partie de l’entretien dédiée plus spécifiquement au harcèlement sexiste et sexuel. Avec, pour le dessert, une flèche conçue sur mesure pour Sanna Marin. Un immense merci à Emmanuelle et l’équipe de À 180 degrés – Chagrin Scolaire pour leur générosité, leur disponibilité, et leur gaîté.

Peux-tu partager un exemple concret de résolution d’une situation de harcèlement sexiste ou sexuel au travail ?

L’autre jour, je reçois 4 jeunes femmes médecins qui travaillent à l’hôpital sous les ordres d’un mandarin. Ce dernier ne rate pas une occasion de les rabaisser, de leur faire des commentaires déplacés, humiliants, dégradants. Elles ont tout essayé pour le faire arrêter : soupirer, ignorer, devenir revêches… en vain. Elles ont tenté d’alerter la DRH de l’hôpital, qui leur a répondu que contre un mandarin, personne ne peut rien. Les voilà donc dans mon cabinet, en mode « dernière tentative avant démission collective ». Je leur ai demandé ce qui se passerait si, au prochain agissement sexiste, elles répondaient quelque chose comme… « Les femmes ont dû vous en faire baver, pour que vous les détestiez à ce point-là. Vous devez en souffrir énormément. On peut en parler, si vous voulez ». 

Comment s’est terminée cette réjouissante histoire ? Elle va parler à nombre de mes clientes dans le monde hospitalier, elles-mêmes victimes de faits de harcèlement sexiste…

Comme par hasard, l’occasion de décocher leurs flèches ne s’est plus jamais présentée. Les propos et agissements sexistes ont cessé comme par miracle. À leur attitude, il a bien senti que ça n’allait plus le faire. Ma bande des 4 était presque un peu frustrée de ne pouvoir décocher les punchlines jubilatoires qu’elles avaient mises au point. Mais en fait, leur attitude non-verbale avait déjà envoyé à ce cher professeur le message « ça ne passe plus ». Et c’est bien là l’essentiel.

Tes livres et tes interventions mêlent souvent harcèlement et sexisme. Est-ce toujours le cas selon toi ?

Non, harcèlement et sexisme ne vont pas toujours de pair. Je dirais plutôt que le harcèlement sexiste, c’est la double peine ! Pour une jeune fille ou une femme, être harcelée dans un monde qui considère normal que les femmes s’écrasent et odieux qu’elles fassent preuve de combativité, c’est leur enfoncer la tête sous l’eau. Le pire pour moi, c’est la misogynie intériorisée qui rend certaines femmes encore plus sexistes que des hommes.

J’ai écrit un seul livre sur le sujet du sexisme, et j’ai pris des précautions infinies pour ne pas commettre d’impair. En effet, ce n’est pas mon domaine d’expertise, et je ne me considère pas comme féministe. Être féministe, c’est un engagement, une prise de risques, qui sont largement au-delà de ce dont je suis capable. C’est un mot bien trop grand pour moi.

Quels sont les enjeux selon toi ?

#MeToo a ouvert des portes, a fait rentrer de la lumière dans la vie de beaucoup de femmes, mais on est loin du compte… J’accompagne des adolescentes qui sont dans des relations de couple vraiment problématiques, avec des comportements de contrôle sexiste hyper violents.

Rends-toi compte, c’est pas facile, pour une jeune fille, d’avoir 13 ans aujourd’hui. Il faut être jolie mais pas trop, mince mais surtout pas grossophobe, libre mais pas trop…

Les statistiques montrent que le geste suicidaire est en hausse, principalement dans la population des jeunes filles de 15 à 19 ans. Ça ne veut pas dire que toutes se suicident, mais ça montre que pour elles, cette période-là de la vie est à la fois douloureuse et exaltante.

Tu n’as pas le sentiment que #MeToo a rigidifié les rapports entre hommes et femmes dans une espèce d’hostilité réciproque, avec un parfum de représailles qui flotte dans l’air ? Tu sais, un peu comme dans Thelma et Louise

Si, il y a une forme d’escalade symétrique et des régressions observables ici et là. J’ose espérer que ce sont de derniers soubresauts. Moi ce que je vois, c’est que les jeunes ados se posent des questions qu’on ne se posait pas à leur âge. Que des jeunes transgenres ont accès dès le collège à des espaces de parole qui n’existaient pas encore récemment.

Si tu devais armer Sanna Marin pour faire face au lynchage médiatique mondial qu’elle a subi, quelles flèches mettrais-tu dans son carquois ?

On y a beaucoup réfléchi avec mon équipe, tu t’en doutes. Évidemment, il faut tenir compte des codes politiques. En tant que Première Ministre, Sanna Marin ne peut pas dire n’importe quoi, ni être agressive. La fenêtre de tir est très étroite.

Nous, ce qu’on lui conseillerait de dire, c’est quelque chose comme : « Certains pensaient vraiment que leurs parlementaires avaient élu un robot pour gouverner la Finlande. Cela n’aurait vraiment pas été représentatif du peuple finlandais ». 

En clair, je suis un être humain (et je ne me positionne pas en tant que femme) et c’est en tant qu’être humain que je représente le mieux mes concitoyens dans une démocratie représentative. Si les trolls pensent pouvoir remplacer la représentation démocratique par des robots, grand bien leur fasse. C’est poli, c’est digne, ce n’est pas ouvertement agressif, et c’est droit dans ses bottes.

C’est la première leçon de l’Ecole de Palo Alto face au sexisme. Ce qui bloque le changement, c’est souvent notre façon de voir le monde. Aidons les petites et jeunes filles à chausser les bonnes lunettes, pour qu’elles puissent observer où se cache parfois insidieusement le sexisme. Ensuite, nous nous mettrons à côté d’elles – pas entre elles et le monde – pour savoir ce qu’elles veulent en faire.

Emmanuelle Piquet, sous les jupes des filles

Si cet article sur le harcèlement sexiste vous a intéressé·e, je vous invite à :

Regarder la conférence Sous les jupes des filles d’Emmanuelle Piquet. Cette conférence brève illustre avec humour comment des jeunes filles ont pu sortir de situations de harcèlement de rue, ou de cyberharcèlement.

Lire Allez les filles ! aux éditions Payot. Des outils pour faire cesser le sexisme dès l’enfance.

crossmenuchevron-down