La semaine dernière, dans un premier article sur la résistance au changement, je vous ai raconté comment le freinage stratégique peut être parfois plus efficace pour amener des changements que d’exhorter une personne à vaincre son inertie.
Ce principe s’applique aussi aux changements collectifs, dans lesquels « les résistances au changement » sont un phénomène bien connu, mais la plupart du temps mal traité. Si mal, que ceux qui sont en charge de faire accepter le changement ne font souvent qu’amplifier les réticences… avec les meilleures intentions du monde.
Quand les oppositions s’aggravent avec les tentatives de forcer ou d'accélérer le changement, le freinage stratégique est une option audacieuse, mais souvent plus efficace que le « toujours plus de la même chose ».
Histoires vécues.
Le mythe de l’accélération dans la conduite du changement
Une success story en trompe-l’œil, qui cache des résistances au changement
Cyrielle et son équipe peuvent sabrer le champagne. Le changement qu’ils conduisent depuis 3 ans entre enfin en phase de déploiement, le tout sans résistances au changement notables. « J’y crois pas, exulte-t-elle. Faut croire que nos efforts de cadrage, de mobilisation collective, de formation, de coaching, de communication interne payent, finalement ! »
Cyrielle ne sait pas à quel point elle a raison de ne pas y croire. Certes, les nouveaux outils et process, censés représenter la partie émergée de la transformation organisationnelle, ont été adoptés. Mais derrière cette adhésion de façade, les modèles mentaux de « l’ancienne culture » se portent comme des charmes. En bavardant avec les membres du ComEx, on entend une autre chanson. « Moi, je fais déjà comme ça depuis des années. Et puis les changements en interne, j’en ai vu d’autres. Par contre, ce sont mes collègues, qui vont mettre des freins. »
Accélérer à tout prix, une stratégie de changement risquée.
« Si nous avons su vaincre les résistances au changement, il est temps d’accélérer ! »
A ce stade, il est difficile d’expliquer à une chef de projet aussi engagée que Cyrielle que c’est maintenant que les résistances systémiques vont se manifester. Tant que le changement était une idée débattue dans d’aimables « workshops », il ne menaçait personne. Maintenant qu’il devient tangible, le système, comme tout système, va tout faire pour maintenir sa stabilité. Si le changement peut être vidé de sa substance en gardant les mots, les apparences seront sauves et tout le monde sera content. Sauf ceux qui espéraient que ça change vraiment, à commencer par Cyrielle. Si le changement s’impose de manière trop intrusive dans les jeux de pouvoir existants, un phénomène de rejet n’est pas à exclure. Dans ces cas-là, j’ai vu bien des Cyrielle se faire « remercier » d’avoir trop bien fait leur travail.
Mais alors comment faire pour accélérer ? Le pari du freinage stratégique comme levier de changement
Il y a quelques années déjà, Jean-Michel était patron d’une grande enseigne qui a dû, à la faveur d’une fusion, changer de nom, d’organisation, de culture, tout. Évidemment, les « anciens » ont bataillé ferme pour résister à ce changement qui ne présentait aucun intérêt pour eux : perte d’identité, de pouvoir, d’avantages sociaux, un deuil impossible à faire. Sauf que Jean-Michel avait un mandat pour conduire le changement d’enseigne. Il n’allait pas se laisser enfermer dans le status quo.
Jean-Michel s’est inspiré de la stratégie des alliés pour initier le changement.
Élève de Jean-Christian Fauvet et des principes de leadership de la sociodynamique, Jean-Michel n’a pas cédé à une tentation pourtant courante. Vouloir faire accepter le changement à tous les acteurs concernés, et surtout aux récalcitrants. Il a identifié les quelques alliés de son projet au sein du réseau, et les a nommés à la tête de magasins tests. Lesquels, dotés de moyens exceptionnels, n’ont pas tardé à donner d’excellents résultats. L’attrait de la performance commerciale a bien réussi à convertir quelques anciens. Mais la grande majorité, outre de se sentir dépossédée de sa culture, s’est sentie humiliée par les pratiques des « ambassadeurs de la réorganisation ». Le déploiement par vagues réclamé par les actionnaires n’était pas envisageable sans des années de conflits sociaux abondamment médiatisés. Un cauchemar annoncé.
Plutôt que d’ouvrir les vannes du déploiement, Jean-François les a (presque) fermées. Une stratégie de gestion de projet audacieuse.
N’ayant pas plus de 20 candidats au changement d’enseigne, Jean-Michel a fait ses calculs. A ce rythme-là, il faudrait 50 ans pour faire basculer un réseau de 1000 magasins, au lieu des 3 généreusement accordés par les actionnaires. N’ayant que son talent stratégique pour lever les résistances, il a tenu à peu près ce discours à son réseau. « Nous avons compris que la plupart d’entre vous n’étiez pas prêts à adopter la nouvelle enseigne. J’ai convaincu nos actionnaires de nous donner du temps. J’ai demandé à ce qu’aucun magasin ne passe sous la nouvelle enseigne cette année, mais ils m’ont quand même demandé d’en passer 10. Cela veut dire que s’il y a des candidats, mais je doute qu’il y en ait, ceux-ci devront déposer un dossier auprès d’une commission de sélection. Celle-ce ne retiendra que les 10 meilleurs dossiers. »
Il a suffi que les 20 candidats déjà déclarés se présentent pour que la dynamique de changement s’engage, malgré les résistances au changement
Jean-Michel a créé une commission de sélection des candidats au changement d’enseigne. Il en a diffusé les comptes rendus dans tout le réseau, s’excusant de ne pouvoir ouvrir les vannes plus largement. Puis il a invité les impétrants à améliorer leurs dossiers en attendant leur tour. Ce qui n’a pas manqué de provoquer l’ire des partenaires sociaux, qui ont hurlé en chœur au scandale. « Comment ça ? et l’égalité de traitement ? ». Quant aux directeurs de magasins, ils se battaient maintenant pour ne pas être dans la liste infâmante des « pas assez bon pour basculer ». Bref, après une année de foire d’empoigne, Jean-Michel a accepté, à la demande expresse des partenaires sociaux, d’ouvrir un peu plus largement les vannes et d’accepter 100 dossiers en année 2 au lieu de 50.
Freinage stratégique, stratégie de management des résistances au changement, vous dites ?
En fin d’année 3, à la surprise ravie des actionnaires – qui avaient entre temps compris que si le projet se faisait en 5 ans, ce serait déjà le Pérou – 50% du réseau était aux couleurs de la nouvelle enseigne.
En résumé, qu’est-ce que cette expérience m’a appris pour ma pratique du coaching ?
Comme me l’écrivait une lectrice, le freinage stratégique n’est pas à la portée de tout le monde. Et j’ajoute : ce n’est pas une panacée universelle ni une baguette magique. C’est une stratégie qui vaut le coup d’être tentée quand les résistances au changement sont fortes et s’aggravent avec les tentatives d’accélérer le changement. Elle demande du culot, du sang-froid et de la patience stratégiques. Et surtout, une conviction partagée par les responsables du changement que les solutions de bon sens mènent à une impasse.
A lire aussi sur Bridge the Gap Coaching pour gérer les résistances et les peurs face au changement
Résistance au changement : pour accélérer, freinez !
Quand le coaching d’équipe est plus efficace que la formation