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J’ai pris soin d’une personne au détriment du projet collectif

Mis à jour le : 5 décembre 2024

Wáng Zǐ est un prince de la danse. Il a quitté le confort d’une vie toute tracée de manager en entreprise pour celle, plus exaltante et plus risquée, d’artiste. Je ne sais s’il s’attendait à y apprendre autant de ses erreurs en matière de management artistique.

L’erreur qu’il nous raconte se déroule dans un contexte bien précis. Lorsqu’une compagnie de danse en est à ses débuts, parvenir à avoir une date de première suppose d’avoir réussi, après des mois voire des années de tentatives avortées, à convaincre un inconnu de lui prêter un théâtre, pour finaliser une création dont ni lui ni les artistes ne connaissent le résultat. C’est donc une immense prise de risque pour l’inconnu. Et c’est au prix d’une énergie folle de la part du porteur de projet.

Les noms employés dans cette chronique sont des noms de scène, évidemment.

Peux-tu nous planter le décor de ton erreur ?

C’est ma première création chorégraphique. Nous sommes toutes et tous bénévoles. Nous travaillons ensemble car nous défendons une création à laquelle on croit. On espère qu’on arrivera à la diffuser. Et à terme, à se payer. On y croit fort. 

Le porteur de l’idée et le moteur, c’est moi. Je suis le créateur et le chorégraphe. Et aussi le recruteur et le comptable. Je suis le communiquant et le chef des opérations, ainsi que le responsable du catering et de la logistique. Je suis l’oreille qui écoute. Un peu trop de choses à vrai dire. 

Dans l’équipe, Mathieu ne va pas bien. Tout me démontre qu’il n’est pas capable de continuer à travailler : il souffre d’une instabilité psychologique qu’il ne cherche pas à cacher et d’insuffisances techniques avérées. Il travaille dur pour compenser, mais tout ceci a un impact sur le reste de l’équipe.

Mais mon idéologie est la suivante : je ne peux pas prétendre créer pour les humains si je ne prends pas soin des humains qui créent avec moi. Il est hors de question de me séparer de Mathieu, d’autant qu’il me dit, alors que je lui demande s’il pense judicieux de continuer : « S’il te plait, j’ai tant besoin de ce projet, c’est le seul que j’ai, celui qui me fait tenir psychologiquement »

Quand as-tu compris que tu faisais erreur ?

A quelques jours de la première de notre création, après que Mathieu s’est endormi pendant que je faisais des retours sur des éléments artistiques à améliorer, il me dit : « Moi, je ne veux pas faire de la technique, je veux danser et chanter. » Autrement dit : « C’est normal que je m’endorme pendant le travail, car ce que je fais ne m’intéresse pas. »

C’est là que j’ai senti dans mon ventre que j’avais fait une erreur. J’ai tout de même continué à encourager Mathieu, mais quelque chose s’était brisé.

Plus tard, la création artistique étant un processus de recherche, je suis arrivé à la conclusion que le binôme dont Mathieu faisait partie devait se transformer. On présenterait la pièce une fois sur deux avec l’une ou l’autre personne du binôme. S’en est suivi une escalade d’erreurs et de ressentiments. Mathieu a décidé de partir en m’expliquant que j’avais abusé de lui depuis le tout début. Que je savais que je n’avais pas besoin de lui depuis le tout début également. Que j’étais un monstre, et que je lui devais de l’argent.

Mathieu avait étrangement oublié pourquoi il était encore dans l’équipe malgré son incapacité. Oublié ou simplement méconnu ce qu’avait coûté à l’équipe qu’il soit là.

Quant à moi, cela m’a fait très mal. Et la douleur a duré longtemps. Travailler dans des conditions difficiles, sans être payé, en se livrant corps et âme, suppose nécessairement de trouver de la force quelque part. Et pour moi, c’était dans les autres. Y compris dans Mathieu. 

Qu’as-tu appris de cette erreur de management artistique ?

  • Ne jamais privilégier une personne à son propre détriment ou à celui du groupe.
  • Tout noter. Les gens oublient les sacrifices que l’on fait et n’hésitent pas à se retourner contre vous.
  • Les sentiments, c’est bien. Mais pour qu’une œuvre voit le jour, il faut les bonnes compétences au bon endroit, et les bonnes émotions au bon endroit. Certaines émotions doivent rester en dehors du plateau.

Retrouvez tous les épisodes de la saison 2 de Chères Erreurs

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