Rencontrons-nous !
Moins pratiqué en Occident que d’autres jeux de plateau comme les Dames ou les Échecs, le jeu de Go est porteur d’une vision du monde. Cette dernière a des implications directes sur la manière dont on se fixe et atteint des objectifs stratégiques, mais aussi sur les relations humaines en général. Pour les Asiatiques en effet, le Go n’est pas qu’un art symbolique de la guerre. C’est une représentation abstraite de l’univers.
La tradition occidentale pratique habituellement d’autres stratégies de jeu plus frontales. Aux Dames comme aux Échecs, le perdant est éliminé. Ces stratégies existent toujours dans les mentalités, et se retrouvent dans beaucoup de relations de pouvoir, en politique ou dans les entreprises. Les enjeux stratégiques, organisationnels et opérationnels du management au XXIème siècle demandent cependant d’autres approches… Qui laissent davantage de place à la collaboration et à la coexistence. En cela, le jeu de Go constitue un levier d’innovation stratégique inépuisable.
Il y a 50 ans, le jeu de Go était pratiqué par quelques centaines de joueurs passionnés qui passaient leurs nuits à jouer et leurs week-ends à disputer des tournois. Aujourd’hui, au-delà de la pratique en amateur qui séduit toujours autant, le Go est devenu une source d’inspiration opérationnelle pour les stratèges, les managers et les chefs de projet, bref pour le management d’entreprise.
Jouer une partie est à la portée de tous, car les règles du jeu sont simples et immuables. Tour à tour, chaque joueur place un pion sur le plateau de jeu dans le but de conquérir le plus de territoire possible. Quand les deux joueurs sont présents dans une même zone, capturer un pion ou un groupe adverse permet de déterminer qui est propriétaire de la zone. C’est tout pour la règle. Au Go, il n’y a ni hasard, ni information cachée.
En fin de partie, les zones vides entourées par les pions de même couleur constituent les territoires. Les éventuels prisonniers – les pions adverses capturés en cours de partie – sont rendus à l’adversaire.
La taille du plateau implique un grand nombre de coups pour chaque partie. Cela fait du Go un jeu du long terme, avec tout ce que cela implique d’incertitude, de complexité et de réajustements stratégiques et tactiques.
Publié en 1972, Go et Mao avait fait un gros effet sur ses lecteurs occidentaux. En outre, l’essor économique du Japon fascinait le monde des affaires français. Jean-Christian Fauvet, initialement publicitaire devenu inventeur de la Sociodynamique chez Bossard Consultants, eut alors une idée géniale. Habiller des formations au management et séminaires de stratégie d’entreprise de maximes managériales prêtées à ce jeu abstrait et millénaire.
En pratique, aucun des consultants qui animaient ces séminaires ne jouait au Go… Et les enseignements qu’ils lui prêtaient étaient souvent tirés par les cheveux ! Il n’en reste pas moins que la graine était plantée.
En 1992, j’initiais des adultes au Go dans un stage organisé par la Fédération Française. Un consultant de Bossard m’a alors demandé de l’aider à développer de nouveaux contenus de management à l’aune des enseignements du Go. Pour le coup, je connaissais bien mieux le jeu de Go que le management ! Cette rencontre improbable a donné naissance Management d’entreprise et stratégie du Go. À l’époque, ce livre a reçu des critiques élogieuses. Tant des managers que des joueurs de Go, ce qui ce n’était pas une mince affaire !
Le succès des séminaires et coachings que j’anime depuis plus de 25 ans autour des enseignements stratégiques et tactiques du jeu de Go ne se dément pas. Selon les cas, je les fais voyager dans l’histoire du jeu, l’art asiatique, la pratique du jeu… Et bien sûr, la transposition des enseignements du Go à leurs projets et préoccupations stratégiques et opérationnelles.
Pour tout dire, apprendre à jouer au Go demande, sinon une vie, des semaines pour maîtriser le « langage des pierres ». C’est comme apprendre à lire la musique ou une langue étrangère. Ça ne s’invente pas et le temps que peuvent passer les managers à apprendre à jouer est souvent inexistant. J’ai butté pendant des années sur la question : comment faire pour que le Go apporte à mes clients autre chose qu’un merveilleux dépaysement culturel ? Certes, les voyages culturels ça ouvre l’esprit. Et, avec un peu de chance, ça aide à voir le monde autrement. Cela étant, je trouvais l’argument un peu court dans un monde obsédé par le ROI… À chaque fois, ce sont mes clients qui m’en ont redemandé et m’ont aidée à surmonter cette difficulté.
En 2014, des clients m’ont demandé de réaliser, avec l’un de leurs responsables commerciaux, une monographie sur la conquête d’un grand compte illustrée par les principes du jeu de Go. Pendant 3 mois, le directeur commercial m’a raconté sa stratégie et les résultats obtenus chez son client. Ce qui marchait, ce qui ne marchait pas. Les questions qu’il se posait dans sa réflexion stratégique et sa mise en œuvre tactique. Je lui posais ensuite des questions de joueuse de Go pour comprendre sa stratégie. Enfin, avec l’aide de mon ami Motoki Noguchi, plusieurs fois champion d’Europe de Go, nous avons mis en forme « la conquête d’un grand compte illustrée par les principes stratégiques du jeu de Go ».
Cette monographie à trois voix a fait un tabac auprès du public auquel elle était destinée. Rétrospectivement, j’ai compris que sa construction même avait aidé le commercial à amplifier son impact chez son client. Le coaching stratégique jeu de Go était né.
Depuis, j’accompagne des managers – individuellement ou en équipe – dans leurs problématiques en utilisant le Go comme déclencheur de la réflexion. Ces accompagnements concernent aussi bien leurs enjeux de gestion de projet complexe, que de gestion de conflit, de management du changement, ou encore de mobilisation collective,
Récemment, une cliente m’a fait remarquer que pendant l’initiation de son équipe au Go, toutes les croyances limitantes qui les empêchaient de progresser dans leur prise de décision stratégique étaient apparues au grand jour… Exhumer ses croyances limitantes n’est jamais très confortable. Le Go, par sa dimension ludique a ouvert une porte qu’une approche plus directe aurait trouvé close. Cela permet par la suite un travail de coaching par petit groupe, pour imaginer de nouvelles manières de faire.
Depuis deux ans, l’essentiel de mes accompagnements et formations management se déroulent en ligne. À cette occasion, j’ai appris qu’apprendre à jouer au Go n’était pas un préalable indispensable. En effet, il est possible de commencer par discuter des enjeux de managériaux de mes coachés avant d’illustrer la discussion par quelques exercices de Go… Comme une métaphore des enseignements de la séance. Cette contrainte matérielle imprévue a été pour moi l’occasion d’agir en joueuse de Go : ajuster ma conduite pédagogique au potentiel stratégique de l’environnement.
Le jeu de Go n’est pas la panacée stratégique universelle. Il permet cependant de travailler sur enjeux de management qui résonnent avec notre époque.
Laurent Barnier, Benoît Duséhu, Isabelle Jalmain, Annaïk Juhuette, Pauline Kiejman, Julie de Lavarène et Motoki Noguchi.