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Savoir dire non, au-delà des injonctions à l’assertivité

Mis à jour le : 15 juin 2022

Savoir dire non est la solution à beaucoup de problèmes. Ça aide à gérer son temps, son stress, à poser ses limites, à se faire respecter. Mais alors, pourquoi tant de personnes ont-elles si peur de dire non ? Et surtout, comment les aider efficacement avant qu’elles ne succombent toutes à l’épidémie de burn-out ?

Comme d’habitude, la responsabilité est rejetée sur le dos des individus. Tour à tour, leur peur de déplaire, leur manque d’estime de soi, leur incapacité à s’affirmer sont montrées du doigt. Serions-nous donc si nombreux à être des lâches ou des paillassons ?

À mon avis, il est illusoire de penser qu’apprendre à dire non est une responsabilité purement individuelle. Pire, c’est manipulateur. Cela fabrique des coupables, qui penseront dissoudre leur culpabilité dans les principes d’assertivité, d’Analyse Transactionnelle ou de Communication Non-Violente… Sans reprendre le moindre contrôle sur leurs blocages. In fine, combien auront appris à dire non et en seront toujours incapables ?

Oser dire non et fixer des limites claires, c’est un exercice relationnel. Cela demande de prendre en compte la vision du monde et les émotions de la personne qui éprouve le besoin de s’affirmer, mais aussi son contexte. Illustration par quelques exemples vécus.

Trois personnes que tout le monde exhorte à savoir dire non

« Je ne dis pas non car je veux être une bonne personne à mes propres yeux »

Florence est gentille. Tellement gentille qu’elle se laisse submerger par les demandes de ses clients internes. Sa collègue Diane, qui subit une partie des conséquences de cette gentillesse sans limites, la renvoie dans ses buts. « Tu es trop gentille ! Il faut être un peu égoïste dans cette boîte sinon tu te fais bouffer ». 

Florence est bien avancée. Non seulement la gentillesse fait partie de ses valeurs cardinales, mais l’égoïsme en est carrément exclu. Si Diane est capable d’exprimer ses besoins et désirs clairement et sans culpabiliser, Florence en est incapable. Le fait même d’associer « dire non » à « égoïsme » suffit à bloquer toute velléité d’affirmation de soi.

« Savoir dire non ? J’ai trop besoin d’être aimé pour prendre le risque de décevoir autrui ! »

Franz s’est fait apprécier durant toute sa vie professionnelle par son empathie et son respect d’autrui. Être là pour chacun·e, c’est son style de leadership et il excelle dans ce registre affectif. Sa DRH le montre en exemple à tous les managers de la société comme un modèle de « servant leadership ». Quant à son n+1, il lui en demande toujours plus. Et plus Franz en fait, plus son manager lui en demande. Jusqu’au point où Franz y laisse ses loisirs, ses week-ends… Mais comment faire autrement, alors qu’il passe 8 à 12 heures par jour en téléconférence ? Et que les demandes de son équipe et ses dossiers de fond ne peuvent être traités que le week-end ?

« Comment savoir dire non quand tout le monde est dans la soumission ? »

Ancienne formatrice, Faouzia est heureuse d’avoir trouvé un poste de développement des Ressources Humaines dans un grand groupe. Pendant un temps, elle y a trouvé un épanouissement réel et une sécurité économique qu’elle n’avait pas en tant que freelance. Mais depuis le COVID, elle remarque que le rythme de travail et le niveau de fatigue général a fortement augmenté. Pour elle comme pour ses collègues. Ces derniers temps, elle se rend compte qu’elle oscille entre passivité et agressivité. Elle n’arrive pas à exprimer calmement que sa charge de travail a dépassé les limites de ses capacités. « Ils ont pris l’habitude de nous envoyer des e-mails le week-end. Et moi, j’ai pris l’habitude d’y répondre ». 

Les injonctions à savoir dire non sont inefficaces quand elles négligent les inconvénients du changement

Le respect de soi, ce n’est pas négociable.

Florence ne fera ni ne dira jamais rien qui pourrait entamer ses valeurs de gentillesse et d’altruisme. Quand on lui demande si elle se met en danger, ou si elle a peur de blesser en apprenant à s’affirmer, elle répond poliment que non. Pour elle, être gentille, c’est une question d’identité et d’image de soi. C’est non négociable. Au passage, je note que quand il s’agit de défendre ses valeurs, savoir dire non n’est pas un problème pour elle.

Dire non, c’est prendre le risque de renoncer aux bénéfices de ses comportements.

Franz, quant à lui, a construit toute sa vie professionnelle sur sa capacité à plaire et son pouvoir de dire oui. Il n’a aucun mal à identifier les freins qui l’empêchent d’affirmer sa différence ou ses besoins personnels. Il a peur de décevoir, de ne plus briller dans le regard des autres, bref de ne plus être aimé. Or, les compliments de sa DRH, de son chef, de ses équipes, constituent sa principale source de plaisir au travail.

Tous les environnements ne sont pas propices à l’affirmation d’une position divergente.

Faouzia, enfin, n’éprouve pas les mêmes peurs. Même si elle a suffisamment confiance en soi pour dire fermement les choses dans des situations individuelles, là c’est une autre histoire. Elle a le sentiment que la connexion 24 / 7 était devenue une nouvelle norme dans l’entreprise. Elle craint de passer pour une rebelle si elle s’oppose seule à cette nouvelle norme, et de perdre son travail.

Trois stratégies d’affirmation différentes pour mettre des limites

Un non est parfois plus gentil qu’un oui

Dans un premier temps, Florence a besoin d’être rassurée sur le fait que personne ne lui demande de renoncer à sa gentillesse et à ses valeurs. S’il y a une chose sur laquelle elle a une position affirmée, c’est bien ça ! 

Une rapide enquête auprès des clients internes montre qu’à force de tout accepter, Florence a créé un goulot d’étranglement. Les services qui prennent ses « oui » pour argent comptant attendent parfois ses réponses pendant des jours. 

Le déclic vient d’un de ses clients internes qui lui dit « Si tu veux vraiment être gentille avec mon équipe, et je sais que c’est ton intention, il faut nous dire oui ou non clairement ! Au moins comme ça, on peut s’organiser. » Penaude, Florence ne se l’est pas fait dire deux fois.

Faire le tri dans les attentes avant de laisser tomber tout le monde pour de bon.

J’ai commencé par demander à Franz ce qui se passerait s’il ne changeait rien. La réponse n’a pas tardé : burn-out. Et Franz connaît assez son entreprise pour savoir qu’une fois en arrêt maladie, plus personne ne comptera sur lui.

En explorant les attentes de son entourage de manière plus précise, Franz s’est alors rendu compte que :

  • Son chef n’attendait pas de lui qu’il reste en réunion en dehors des moments où il devait prendre la parole ou participer activement ;
  • Deux de ses équipiers étaient demandeurs de plus d’autonomie.

Ces deux découvertes ont permis à Franz d’alléger sa charge de travail tout en répondant mieux aux attentes de ses interlocuteurs. 

Aux dernières nouvelles, Franz a commencé à programmer dans son agenda électronique des plages d’indisponibilité où il peut travailler sur ses dossiers tout en échappant à la malédiction des réunions à la chaîne.

Identifier des alliés pour se donner du courage et se faire respecter à plusieurs.

Faouzia, enfin, n’a pas tardé à découvrir que beaucoup de ses collègues souffraient autant qu’elle. Interpellés discrètement, les représentants du personnel affirment que la déconnexion est un droit garanti par la loi. À chacun de poser ses limites et d’affirmer ses droits. 

Pas convaincus, Faouzia et ses collègues tentent une expérience : ils se déconnectent le soir à 18h jusqu’au matin 9h. Certes, le matin suivant, les boites mail débordent mais personne ne proteste ouvertement. Ils recommencent la semaine d’après, et encore celle d’après. La pression du matin est forte. Quelques tentatives de chantage ont même eu lieu, mais le petit groupe a pris confiance en soi. Chacun se tient à une réplique qui coupe court à tout débat : « j’ai vu ton mail en arrivant ce matin, je m’en occupe ».

Au bout de quelques semaines, ils observent que la quantité de sollicitations reçues en dehors des heures de travail commence à baisser et que les « coups de pression » sont somme toute exceptionnels. 

Pour conclure sur l’art de savoir dire non

Quelques enseignements issus de ma pratique du coaching autour du thème de l’affirmation de soi

Dire oui à quelque chose, c’est toujours dire non à autre chose. Les personnes qui éprouvent du mal à dire non ont toujours de bonnes raisons d’hésiter. Prendre ces raisons au sérieux et les intégrer dans la stratégie de résolution de problème est indispensable. Savoir dire non c’est bien, choisir à quoi on dit non, c’est mieux.

Selon les environnements et les rapports de force, prendre une position affirmée n’est pas toujours la meilleure option pour se faire respecter. L’injonction à s’affirmer avec politesse mais fermeté n’est pas transposable dans tous les contextes professionnels ou culturels. 

On peut parfaitement faire valoir sa position, ses besoins ou ses droits en ne prononçant jamais le mot « non ». Se faire respecter, défendre ses droits ou affirmer sa différence n’est pas seulement une compétence verbale. C’est aussi une compétence relationnelle et stratégique.

Tout comportement, pas seulement la parole, est communication.

J. Helmick Beavin, D. D. Jackson & P. Watzlawick

Si cet article vous a intéressé, je vous invite également à lire ces deux études de cas, dans lesquelles vous découvrirez qu’il est possible d’affirmer ses choix sans forcément savoir dire non :

Le coaching individuel a-t-il un sens ? l’histoire d’un collaborateur qui disait oui et faisait non… quels que soient les efforts de sa manager pour se faire respecter.

Giving yourself a break increases your productivity, l’histoire d’un manager qui a reconquis son droit à récupérer (en Anglais).

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