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Sécurité psychologique : comment la développer dans un monde imparfait

Mis à jour le : 18 mai 2022

D’après les travaux d’Amy Edmondson, la sécurité psychologique n’est pas qu’une des composantes de la santé au travail. Les employeurs qui la garantissent à leurs salariés peuvent ainsi concilier efficacité organisationnelle et environnement de travail de qualité. Les initiatives y sont plus nombreuses, les opportunités d’innovation et les dysfonctionnements y sont mieux identifiés, des plans d’actions sont mis en place plus vite… Bref, la sécurité psychologique est signe de santé organisationnelle.

Cela dit, comme toutes les injonctions managériales à la mode, la sécurité psychologique n’est pas un absolu. Même dans les environnements organisationnels où elle est promue, il convient d’évaluer les risques que l’on prend à titre personnel. Notamment quand on veut faire preuve de courage managérial.

Les cas cités dans cet article sont réels. Ils ont été évoqués lors d’une rencontre avec Amy Edmonson, organisée dans le cadre de l’Emerge Leadership Book Cycle animé par Theresa Destrebecq. Je remercie les membres du groupe qui ont accepté de partager leurs expériences personnelles.

Une femme courageuse qui apprécie la sécurité psychologique dont elle bénéficie dans son entreprise.

Kate est une directrice marketing senior et une manager d’équipe hors pair. Elle est reconnue tant pour la qualité de son travail sur les marchés que pour sa gestion des ressources. 

Quand l’entreprise s’est implantée sur de nouveaux marchés, la DG les a naturellement confiés à Kate. En plus de sa charge de travail actuelle. « On m’a ordonné de le faire, pas proposé », dit-elle. Certes, c’était bien amené, avec force compliments sur ses capacités. Mais Kate n’a pas eu son mot à dire sur cette extension de son périmètre. Ni sur l’organisation du travail ou les gains de productivité à réaliser.

Mais bon. Mener la vie professionnelle qu’elle aime, dans un cadre de travail sain, avec des supérieurs hiérarchiques qu’elle respecte et réciproquement… À 50 ans passés, ça vaut bien quelques compromis. 

Sécurité psychologique ne veut pas dire absence de risques psychosociaux

Un cas de harcèlement moral avéré

L’installation de l’entreprise sur son nouveau marché n’est pas facile. Le directeur commercial local se révèle rapidement être un tyran, qui fait fuir les employés. Kate signale rapidement les risques identifiés à sa hiérarchie. En effet, le business repose largement sur les bonnes relations de travail entre marketing et ventes.

Aucune réaction. Kate finit par comprendre que sur un nouveau marché, les ventes l’emportent sur le marketing. Par conséquent, l’entreprise se sent obligée de s’accommoder des comportements toxiques du directeur commercial… Quitte à payer le prix en risques psychosociaux et en turn-over dans les équipes marketing.

Assurer le mieux-être et les conditions de performance des équipes au détriment de sa propre sécurité psychologique : une solution bancale.

La seule solution que Kate a trouvée pour améliorer les conditions de travail de ses équipes sans sacrifier leurs performances, c’est de traiter en direct avec Monsieur Tyran. Elle est en effet plus senior que lui et il se tient à carreau avec elle. Mais enfin, tout cela aggrave sa surcharge de travail… Et entame un peu le sentiment de sécurité psychologique dans lequel elle vivait jusqu’à présent.

Dénoncer les comportement sexistes en toute sécurité psychologique : la quadrature du cercle.

Des comportements déplacés

L’entreprise de Kate participe à un salon international pour afficher ses nouvelles ambitions régionales. Tous les VIP de l’entreprise font le déplacement. L’un d’entre eux, la voyant pour la première fois, lui fait publiquement un « compliment » que tous jugent déplacé. Kate en a entendu d’autres et ne relève pas. Le lendemain, alors que Kate vient de décrocher un rendez-vous prestigieux, le même individu fait, toujours publiquement, un commentaire graveleux sur ses méthodes de travail. A l’aéroport en repartant, Kate le prend en aparté. Elle lui fait alors part de son indignation et du ressenti des salariés présents. L’indélicat se confond en excuses.

Un niveau de sécurité psychologique insuffisant pour déposer une plainte pour harcèlement sexuel 

Kate reparle de cet incident avec son supérieur hiérarchique direct, qui a assisté à tout. Outré, il l’encourage à déposer une plainte pour harcèlement sexuel à la DRH. Déposer une plainte officielle, ça veut dire licenciement immédiat pour l’indélicat. Ça veut sans doute aussi dire des conséquences pour Kate. En effet, il y a un précédent dans l’entreprise. L’agresseur avait été viré, mais la victime avait aussi dû quitter l’entreprise 3 mois après. 

Au vu de ce précédent, les exhortations de son n+1 et la DRH à entamer une procédure semblent trop risquées. Kate ne se considère de toutes façons pas comme une victime. Elle décide donc de ne pas porter plainte, pour éviter tout risque de stigmatisation. Elle demande néanmoins à sa direction de rappeler fermement l’indélicat à l’ordre. 

Un poison pour la sécurité psychologique : l'entre-soi

Puis, plus rien. Aucun suivi ni aucun retour ni de la DRH ni de sa hiérarchie. Les contacts entre les équipes de Kate et celles de l’indélicat, qui auraient dû se développer suite au salon, sont au point mort. Elle apprend par la bande que le PDG est un ami personnel de l’indélicat … Et que donc, ce dernier ne sera jamais inquiété. Kate est à la fois déçue de la lâcheté de ses leaders et soulagée de ne pas avoir porté plainte. 

Un bon manager doit pouvoir se battre pour ses équipes, non ?

Une injustice à réparer

Pour faire face à l’expansion de son périmètre, Kate a fait monter en puissance un de ses collaborateurs. Ce dernier réalise des performances qui méritent récompense. D’autant que ce collaborateur est, pour des raisons historiques, largement sous-payé. Kate monte un dossier en béton pour obtenir ce qu’elle estime juste pour lui. Sans succès. 

Sécurité psychologique, vraiment ?

Kate se bat alors pendant des semaines pour son collaborateur, jusqu’à obtenir gain de cause. En dernier ressort, elle reçoit un mail doucereux du siège. À mots couverts, la direction demande à Kate de choisir entre la satisfaction de son collaborateur et sa loyauté à l’entreprise. Kate tient bon, mais elle part en vacances en état d’épuisement et détresse psychologique.

Un nécessaire changement de perspective : la sécurité psychologique n’est pas un absolu.

1ère étape : apprécier son courage

La voix de Kate tremble d’indignation quand elle raconte ces histoires. Dans ses choix de vie personnelle comme dans sa vie professionnelle, elle a toujours fait preuve de courage. Elle prend des risques personnels, ne s’avoue jamais vaincue. Chacun de ses mots et de ses actes doit pouvoir être un exemple de leadership. Son mal-être émotionnel, dû aux atteintes répétées à ses valeurs, est palpable. 

2ème étape : décoder le feed-back implicite de l’environnement

Au fond, finit par admettre Kate, cette série d’incidents se résume à une boucle sans fin : 

Représentation schématique d'une relation dysfonctionnelle autour du thème de la sécurité psychologique.

« En définitive, le management de l’entreprise ne veut pas que je sois courageuse ! Ils n’assurent la sécurité psychologique que de ceux qui demandent ce que l’institution est déjà prête à donner ! »

3ème étape : formuler une autre définition, plus stratégique, du courage 

Me vient alors un vieux souvenir de lecture. Alors qu’il était menacé de mort par l’Iran, Salman Rushdie a eu l’occasion de rencontrer le Président Clinton. Son attachée de presse avait obtenu 5 minutes d’entrevue. Dans son autobiographie, Rushdie raconte comment il a préparé cette rencontre. « Premièrement, dit-il, le Président sait que si je veux le rencontrer, je vais lui demander quelque chose. En second lieu, je dois lui demander quelque chose qu’il peut me donner. Sinon, je le mets dans l’embarras et je perds un allié. » Ce jour-là, Rushdie a prié Bill Clinton de prendre publiquement position contre l’intolérance. Ce geste engageait le Président des États-Unis dans la limite de ce qu’il pouvait faire vis-à-vis de la communauté internationale. Par la suite, d’autres personnalités ont apporté leur soutien à Rushdie, ce qu’ils n’auraient pas fait auparavant. 

4ème étape : recréer de la sécurité psychologique à son niveau pour récupérer sa qualité de vie au travail.

Pour Kate, les choses sont désormais plus claires. Son employeur n’est pas parfait, mais aucun environnement de travail ne l’est. La sécurité psychologique dont elle pensait bénéficier auprès des dirigeants n’est pas à la hauteur des valeurs de l’entreprise ? Dont acte. 

C’est là que le conseil donné par Amy Edmonson prend toute sa valeur. Que peut-elle faire à son niveau pour donner de la sécurité psychologique à elle-même et ses collaborateurs ?

Heureusement, Kate possède des leviers pour réduire son niveau de stress au travail et travailler dans de bonnes conditions. Elle se concentre sur ses alliés, qui l’écoutent et apprécient son expertise. Elle instaure des « revues de plantage », pour analyser les erreurs dans la bonne humeur. En jouant de son humour très britannique, Kate plaisante de ses erreurs. Elle demande aussi du feedback à ses collaborateurs, qui commencent à en faire autant avec les leurs. 

Prochaines étapes : améliorer sa qualité de vie globale

Depuis qu’elle a cessé de se battre contre ses dirigeants, Kate éprouve un réel mieux être. Elle a également récupéré la capacité à voir ce qui peut être amélioré à son niveau, pour favoriser un milieu de travail sain pour ses collaborateurs, ses interlocuteurs et elle-même. Elle est fière de la manière dont elle arrive à conjuguer bien-être et efficacité et son employeur est ravi. Qu'elle fasse ce qu'elle veut à son niveau, mais qu'elle ne joue pas les justicières.

Kate n’a pas changé le monde. Elle a cependant regagné une part de contrôle sur ce qui compte pour elle, sans sacrifier ses valeurs. 
Et ça, ça lui change la vie.

Pour conclure, quelques lectures et ressources

Références citées dans cet article

Amy Edmondson, The fearless organization, creating psychological safety in the workplace for learning, innovation and growth, Wiley

Emerge Leadership Book Cycles – Theresa Destrebecq

Salman Rushdie, Joseph Anton, Plon

Clinton and Aides Meet Rushdie At White House in Rebuke to Iran, New York Times 25 novembre 1993

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