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Courage managérial : une injonction paradoxale ?

Mis à jour le : 10 mars 2022

Le courage managérial est devenu un incontournable du leadership.

Pour Gaël Châtelain-Berry, ce courage tient en 4 points clés. Ne pas avoir peur, savoir dire non, garder son esprit critique et savoir décider. Je n’ai rien à ajouter, tant principes managériaux sont pertinents et clairement formulés.

Un autre monde, de Stéphane Brizé, montre – hélas – une réalité beaucoup moins bienveillante. Un monde dans lequel le courage managérial est un jeu biaisé par la logique du capitalisme, auquel on ne peut que perdre. L’intérêt principal de ce film, selon moi, est de montrer comment un concept qui devrait faire partie des fondamentaux du management peut devenir un levier de manipulation et une machine à broyer les managers les plus loyaux.

Dans ma pratique de coach en leadership, j’observe tous les jours les paradoxes entre ces concepts managériaux et la réalité des responsabilités des managers. Une part de plus en plus importante de mon activité de coach consiste à aider les dirigeants et managers à se protéger des pièges tendus par ces situations paradoxales.

Chacun définit le courage managérial à l’aune de ses intérêts.

Un autre monde, le récit d’un drame ordinaire du management opérationnel 

Pour celles et ceux qui ne l’ont pas vu, ce film met en scène un directeur de site industriel. Il navigue entre son divorce et la demande que lui a faite son groupe de procéder à un deuxième plan social en quelques années à peine. Entre deux rendez-vous d’avocats, il essaie en vain de trouver des solutions alternatives. Ce nouveau plan social mettrait 10% de ses salariés au chômage et la pérennité de l’activité du site en danger.

5 définitions contradictoires du courage managérial  

  • Pour le CEO américain et la directrice France, tout d’abord. Le courage managérial, c’est supprimer 10% des effectifs pour augmenter la profitabilité groupe.
  • Dans l’esprit du directeur du site, manager opérationnel et personnage principal du film, ensuite. Le courage managérial c’est proposer une alternative constructive, afin de protéger ses équipes et la pérennité de son site industriel ;
  • Pour le responsable des opérations du site, proche collaborateur du directeur. Le courage managérial c’est savoir dire non à des objectifs fixés. En effet, il sait qu’ils sont porteurs de risques psychosociaux et d’une impasse économique ;
  • Selon les représentants du personnel, maintenant. Le courage managérial c’est être présent sur le terrain pour accompagner ses équipes et être transparent dans sa communication interne.
  • Pour la femme du personnage principal enfin. Le courage managérial c’est de ne pas rapporter les vicissitudes de sa vie professionnelle à la maison. Surtout quand on sait que Madame a sacrifié sa carrière à celle de son mari.  

Paradoxalement, c’est le courage managérial du personnage principal qui cause sa perte

Le directeur de site et quelques autres tentent pendant tout le film d’être assertifs face à leurs supérieurs hiérarchiques. D’oser proposer de nouvelles idées, de conserver leur esprit critique… Bref, d’assumer leur rôle de managers dans un processus décisionnel qui les dépasse. On dirait du Gaël Châtelain-Berry dans le texte. Certes, ce manager perd régulièrement ses nerfs : ses savoir-être ne sont pas nickel-nickel. De fait, il ne va plus dans les ateliers et n’a plus qu’une notion lointaine de la réalité des conditions de travail de ses ouvriers. Enfin, il finit par mentir et par précipiter sa propre chute. On peut être empathique pour le personnage tout en voyant ses torts et les limites de ses pratiques de management. Mais on ne peut pas lui reprocher de manquer de courage. Il en a même bien davantage que plusieurs de ses collègues, qui se désolidarisent de son combat au profit de leurs intérêts individuels. 

Le courage managérial utilisé comme arme contre celui qui en fait preuve

Tout au long du film, notre homme est sommé par sa femme, ses salariés et ses dirigeants de faire preuve de courage. S’il se plie aux définitions du courage des autres, il perd sa dignité, la confiance de son personnel, sa légitimité et sans doute, à terme, son outil de travail. S’il fait preuve de courage selon sa définition à lui, il perd son travail sans indemnités en plein divorce. Sauf erreur de ma part, les spécialistes appellent ça la double contrainte : quoi qu’il fasse, il perd.

Le courage managérial n’est qu’un exemple de ces concepts de « bon management » qui peuvent se retourner contre ceux qui les prennent trop au pied de la lettre. 

La transparence

Dans Toxic Management, Thibaud Brière décrit comment la transparence, la responsabilité et l’humilité peuvent se retourner contre les salariés dans une entreprise soi-disant libérée.

Les nouvelles pratiques de management sont censées mobiliser et responsabiliser les équipes. Or, elles sont souvent détournées de leur intention initiale pour installer un management sectaire et manipulateur. Il serait illusoire de penser que le cas évoqué par Thibaud Brière est isolé. Ce dernier n’est qu’un des auteurs qui documentent méthodiquement les risques d’asservissement lié aux pratiques managériales des entreprises dites libérées. 

La solidarité

Que dire, par exemple, des managers de ces filiales, à qui le siège a demandé des efforts de travail exceptionnels et des économies drastiques pendant la pandémie, au nom de la solidarité… Quand il s’est avéré que les fruits de ladite solidarité ont été intégralement reversés aux actionnaires ?  Lesquels n’ont jamais gagné autant que pendant la crise du COVID, rappelons-le. Dans quelle posture sont ces managers de proximité face à leurs équipes, mobilisées pendant près de deux ans pour jouer le jeu de la solidarité ? Quels leviers ont-ils à présent pour retrouver la confiance, la motivation et la cohésion au sein de leurs équipes ?  

Et bien d’autres compétences relationnelles ou émotionnelles soi-disant indispensables pour devenir « un bon manager »…

Je pense aussi à ce directeur de clientèle, devenu paria dans son propre établissement bancaire. Il avait appliqué avec un peu trop de rigueur les règles de compliance pourtant affichées partout à la demande des autorités de régulation. Les valeurs de l’entreprise c’est une chose. Mais un manager performant ne peut pas se permettre de rater une affaire pour une bête histoire de compliance…

Et à cette directrice, placardisée pour avoir voulu innover trop fort.. En adoptant un mode de management collaboratif au-delà des limites de son périmètre hiérarchique. Le management transversal oui, mais chacun chez soi. 

J’allais oublier les montagnes de burnout générés par des interprétations considérées a posteriori comme trop littérales des valeurs de l’entreprise. Des notions comme engagement, bienveillance, collaboration, agilité ou qualité de vie au travail tiennent pourtant une place de choix dans les référentiels de compétences managériales et autres formations au management ou à la gestion des ressources humaines. 

Le rôle du coaching dans l’accompagnement des managers

Sortir d’une approche individuelle qui ne crée que des boucs émissaires

Dans l’immense majorité des cas, il n’est dans l’intérêt de personne d’en arriver à de telles extrémités. Je partage l’avis de Claude Duterme, intervenant systémique en entreprise. « Je ne pense pas qu’on puisse postuler que les individus deviennent de plus en plus pervers, plus harcelants, plus manipulateurs ou plus fragiles qu’ils ne l’étaient auparavant, ni que c’est au niveau individuel qu’il faut chercher des réponses à ces problèmes. »

Les DRH et responsables hiérarchiques qui font appel à des coachs quand des managers de l’entreprise se retrouvent pris dans ces paradoxes souhaitent sincèrement trouver une solution avant de devoir se séparer de collaborateurs talentueux et dévoués.  

Travailler sur le contexte et les interactions les plus porteuses de contrainte pour les assouplir

En troquant une approche purement individuelle pour une approche contextuelle et interactionnelle, il est parfois possible d’aider les managers à : 

  • prendre du recul sur leurs comportements les mettant  en perspective avec le contexte organisationnel et économique dans lequel ils s’inscrivent,
  • identifier les schémas relationnels redondants qui exercent la pression la plus forte sur leurs valeurs personnelles,
  • trouver une posture managériale qui leur permet de respecter leur intégrité sans les mettre en conflit avec les impératifs de l’organisation. 

En résumé, qu’est-ce que cette expérience m’a appris pour ma pratique du coaching ?

Accepter d’être réaliste dans ses attentes

Je dis parfois, parce que ce n’est pas une science exacte, ni un miracle. Dans le film de Brizé, le personnage principal préfère retrouver sa liberté de conscience plutôt que de se plier au système. Je suis toujours très claire avec mes clients que cette issue doit pouvoir être considérée comme un résultat possible du coaching si la personne accompagnée juge que sa santé mentale est à ce prix

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