Avez-vous déjà été dans la situation de leadership sur un projet, des travaux transversaux, voire une équipe… En n’ayant aucun levier pour exercer un leadership efficace ?
Depuis le début du (XXIème) siècle, fleurissent dans les organisations de toutes tailles et de toutes cultures des personnes « en charge de ». Ils et elles n’ont pas les leviers pour exercer la responsabilité que leur organisation leur a confiée. Le tout pour des résultats qui laissent perplexe. Tant du point de vue de la performance organisationnelle que de l’épanouissement professionnel des individus.
Je remercie ma consœur Cathy Dumont, fondatrice de la Fabrique des Braves, de m’avoir inspiré cet article. Merci aussi à François Dupuy de m’avoir fait lire L’analyse sociologique des organisations d’Erhard Friedberg. C’était longtemps avant qu’il n’entame sa trilogie Lost in Management qui décrypte et analyse les jeux de pouvoir les plus subtils au sein des organisations du XXIème siècle.
Tellement bon que l’entreprise n’a pas encore trouvé de remplaçant à son directeur qui est parti à la retraite. Cela fait maintenant 6 mois que Dimitri organise les travaux au sein de l’équipe, encadre et motive ses co-équipiers, représente la DSI auprès des clients internes. Et que ça se passe plutôt bien, même si au début, les clients internes ont râlé d’avoir affaire à un « sous-fifre ». Pour les calmer, la DRH a suggéré à Dimitri de modifier sa signature de mail : il est maintenant « acting chef de service ». Elle lui a même offert une formation au management situationnel pour adapter son style et sa posture à chaque collaborateur, et une autre à l’intelligence émotionnelle pour mieux se connaître et développer son charisme. Excusez du peu.
– Bah quand même, évaluer ses pairs, ça ne se fait pas, objecte Dimitri, qui ne manque pas d’assertivité.
– Tu le fais en ta qualité d’acting. Tu as développé un vrai leadership ces derniers mois, tu sais ?
– Et pourquoi pas clarifier les choses et me donner carrément le poste, si j’ai fait la preuve de l’efficacité de mon leadership ? Depuis des mois je suis proactif, je gère des situations difficiles, j’ai pris confiance en moi… Je ne pourrai gagner en légitimité qu’en montant en grade.
– Comme tu le sais, on est en pleine réorganisation. On verra une fois les organigrammes redessinés.
– En attendant, je fais le boulot de mon manager en n’ayant ni son statut, ni son salaire. Il a bon dos, le leadership situationnel !
– Un vrai leader n’a pas besoin de titre managérial ! Tu es en train de développer tes qualités de leadership comme aucune formation ne t’aidera à le faire. C’est un super atout pour ta vie professionnelle future.
Comme Dimitri s’y attendait, ses co-équipiers ont trouvé d’assez mauvais goût de se faire donner du feed-back et fixer des objectifs par un collègue. Et le lui ont fait payer cher. La cohésion de départ a volé en éclat, l’ambiance de travail et la performance de l’équipe n’ont pas tardé à se dégrader. Anticipant que dans ces conditions, son leadership naturel ne serait plus reconnu par l’entreprise, Dimitri a suivi l’excellent conseil de sa DRH. Il est allé vendre son expérience managériale dans une entreprise prête à lui donner le titre et le salaire qui vont avec des fonctions de leadership.
Responsabiliser quelqu’un en lui confiant des responsabilités traditionnellement dévolues aux managers mais en refusant de lui en donner de titre a ses limites.
Elle est passée par toutes les fonctions opérationnelles. Le retail, le marketing, le merchandising, le e-commerce, la stratégie… J’en oublie sûrement. En 10 ans, elle a développé un vrai leadership d’influence dans cette organisation matricielle à quatorze dimensions. Cela lui permet, sur n’importe quel sujet, de fédérer les meilleurs experts de tous des domaines concernés autour d’un projet. En parallèle, elle a développé ses capacités d’influence et ses savoir-être à grand renfort de formations et de coaching. Le profil idéal pour mener en mode collaboratif la terrifiante bataille du Digital… Que l’entreprise ne sait pas bien comment aborder.
Avec un budget et carte blanche pour solliciter quiconque dans l’organisation pourra l’aider à atteindre ses objectifs. L’entreprise de Delphine se dit « flat », « lean », « agile » et « collaborative » et ne jure que par l’intelligence collective. À chaque leader d’identifier les ressources dont il ou elle a besoin et de motiver les collaborateurs à consacrer une partie de leur temps et de leur expertise au projet. Delphine excelle dans ce registre, grâce à son charisme, son relationnel et son style de management participatif.
L’équipe projet qu’elle monte se met rapidement au travail, produit de premiers « livrables », puis la machine se ralentit… Jusqu’à s’enliser. Le marketing rechigne à lui fournir les data dont elle a besoin. Pour sa part, le e-commerce a déjà ses modèles et refuse d’en changer. Le contrôle de gestion, quant à lui, ne peut créer de nouveaux indicateurs qui permettraient d’identifier la part du digital dans la chaine de valeur de l’entreprise. Bref, tout le monde a une bonne raison de ne plus coopérer.
Delphine déploie des trésors d’empathie et de persuasion pour influencer les uns, faire adhérer les autres. Las, quand l’un de ses interlocuteurs finit par lui accorder ce qu’elle veut, 3 autres se mettent à traîner la patte. Delphine s’épuise, son équipe aussi. Les compétences de manager-coach de Delphine ne sont pas en cause. Mais tous les collaborateurs de son équipe viennent de départements qui font de la résistance… et le conflit de loyauté commence à les tirailler.
Delphine organise un séminaire d’équipe pour vaincre ces résistances et remobiliser ses troupes. À cette occasion, elle tente de comprendre les freins qui nuisent à son projet.
– Pour mon département, avoue Myriam du e-commerce, ce projet, c’est un peu scier la branche sur laquelle on est assis. Si on partage nos savoir-faire et nos modèles de développement, le e-commerce est condamné à disparaître au profit du digital.
– Et de toutes façons, ce projet aurait dû être lancé sous l’égide du marketing, enchaîne Sarah. Mon chef est furieux que l’innovation digitale lui ait échappé. Il n’est pas près de me laisser utiliser nos data pour le projet.
– Quant à moi, soupire Maxime de la DSI, c’est pas que je veux pas aider… Mais on s’est fait pirater nos serveurs le mois dernier et les procédures de sécurité se sont terriblement renforcées. Je ne peux plus faire ce que je veux dans le système.
– Les évals approchent, et mon manager de département est très autoritaire, bafouille Nils du contrôle de gestion. Il m’a déjà fait savoir qu’il en avait marre que je ne bosse plus qu’à mi-temps pour lui. Même si, en pratique, je ne consacre que 20% de mon temps au projet Digital.
Un titre, des moyens et un vrai talent de leadership ne pèsent pas assez lourd dans les rapports de force en jeu. En effet, chacun des interlocuteurs de Delphine dispose d’au moins un pouvoir dont elle ne dispose pas :
Ces pouvoirs vont d’autant plus être utilisés contre le projet que celui-ci peut représenter une menace potentielle à l’ordre établi.
Au moment d’accepter un poste à responsabilités, il ne suffit pas de négocier un titre et des moyens. Ou de compter sur son charisme naturel. Les leaders doivent pouvoir peser dans les rapports de force qui ne manqueront pas de survenir. Qu’auront-ils alors à offrir ou à opposer aux experts, aux aiguilleurs, aux portiers, aux supérieurs hiérarchiques ?
J’invite les leaders qui ont la chance de pouvoir bénéficier d’un coaching ou de mentorat pour leur prise de poste à s’assurer que ce sujet constitue le cœur des discussions.
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Je vous invite également à répondre au test que j’ai concocté à l’attention des leaders et managers. Il permet de faire un bref inventaire des ressources sur lesquelles vous pouvez plus ou moins compter pour exercer votre leadership :
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