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L'École de Palo Alto, une philosophie à la mesure des enjeux de l'humanité.

Mis à jour le : 25 août 2022

Sandrine Chalet est psychologue et diplômée en psychothérapie Systémique et Stratégique, directement inspirée de l’École de Palo Alto. Elle a publié cette année un remarquable petit livre, Découvrir l'École de Palo Alto : une différence qui fait la différence. Cet ouvrage est à la fois bref et précis, simple et profond, accessible à tout public. Un peu comme l’approche systémique et stratégique, dont il résume la philosophie. 

Cette remontée à la source des pensées qui se sont rencontrées pour créer cette approche – cybernétique, théorie des systèmes, anthropologie, psychologie, entre autres ! – m’a enthousiasmée. Non seulement parce qu’elle revient sur des notions d’épistémologie à peine effleurées dans les cursus de formation à l’approche systémique. Mais aussi, parce qu’elle permet d’éclaircir un terme, « systémique », aujourd’hui employé à toutes les sauces.

Enfin, cette rencontre a mis en lumière quelque chose que vous ne trouverez pas dans le livre, du moins pas dans celui-là. L’efficacité de l’approche systémique de l’École de Palo Alto ne se limite pas à la relation d’aide. 

Entretien.

Qui es-tu, Sandrine Chalet ?

Tout d’abord, je suis une femme. Comme tu le sais, le monde de la littérature scientifique et philosophique est encore très masculin. C’est important pour moi d’y prendre une place et la parole en tant que femme. J’ai une quarantaine d’années, suis maman de 3 enfants et je vis dans les Alpes en Suisse romande, tout au bout du Lac Léman.

Au départ, je me destinais à la médecine – urgentiste ou pédiatrique. Mais dès l’adolescence, des proches et amis qui vivaient des situations difficiles m’ont sollicitée pour les écouter et les aider. C’étaient les années SIDA, il y avait beaucoup de problèmes de santé mentale et de toxicomanie. J’ai alors réalisé que la médecine, et plus particulièrement la psychiatrie qui traitait le mal-être psychique à coup de médicaments, ne les aidait pas. J’ai donc choisi de m’orienter vers la psychothérapie. 

Quelques mots sur ton parcours ?

A l’université, j’ai vite été déçue par le parcours type en psychologie. J’en ai donc profité pour me créer un parcours pluridisciplinaire en sciences sociales, en suivant des cours d’histoire, de sociologie, d’anthropologie, d’éthologie, de pédagogie en plus des cours en psychologie… avec tout de même aussi quelques cours en médecine 😊. D’ailleurs j’ai aussi un diplôme universitaire dans l’enseignement de la psychologie et la pédagogie. Je suis également profondément naturaliste…

J’ai une passion pour la nature, son fonctionnement circulaire, sa richesse… je passe donc beaucoup de temps à observer et vivre au rythme de la nature… au grand dam de mon mari 😊

Comment définirais-tu ton activité actuelle ?

J’ai créé un centre de consultation, recherche et formation en Suisse avec le soutien et la collaboration de Jean-Jacques Wittezaele et mes anciens collègues de l’IGB. J’y partage mon temps entre les métiers de thérapeute et formatrice. J’enseigne également la psychologie et la pédagogie à des jeunes qui se destinent aux Hautes Écoles. J’ai une attirance particulière pour l’adolescence, période de crise et de remise en question. 

Comment as-tu rencontré l’approche systémique et plus particulièrement l’École de Palo Alto ?

Étudiante, j’avais lu un article de Gregory Bateson sur les dauphins. J’avais trouvé ça original qu’un psy s’intéresse à l’éthologie. Cette approche pluridisciplinaire, qui caractérise si bien l’École de Palo Alto est la première chose qui m’a attirée. Du reste, c’est grâce à cette lecture que je suis entrée à l’Institut Gregory Bateson. J’y ai suivi un cursus en psychothérapie systémique et stratégique après ma licence de psycho.

Avant même l'obtention de mon diplôme, pendant mon stage intensif, Jean-Jacques et son équipe m’ont proposé de devenir formatrice et thérapeute à l’IGB. J’y suis restée jusqu’au départ de l’équipe des fondateurs, avant de créer mon propre centre de thérapie brève et de formation, chez moi en Suisse.

Qu’est-ce qui t’a le plus séduite dans l’approche systémique de l’École de Palo Alto ?

La pluridisciplinarité et la circularité. Les approches cartésiennes et linéaires ont ceci en commun qu’elles découpent le vivant en morceaux, pour mieux pouvoir classifier et identifier une cause unique à chaque chose. Or, les approches linéaires ne sont pas adaptées pour appréhender la complexité du vivant. Elles sont utiles pour des tas de choses, mais pas pour faire face scientifiquement à la complexité. 

Je te l’ai déjà dit, j’ai un regard naturaliste. Quand tu regardes la nature, tu vois bien qu’elle fonctionne de manière circulaire. Du reste, les termes d’écologie, d’écosystème, de cycle de l’eau ou du vivant le montrent bien. De ce point de vue, l’être humain est en décalage total avec son environnement et c’est en train de nous revenir en boomerang. Une rétroaction systémique, s’il en est.

Tu peux expliciter le lien entre pluridisciplinarité et circularité ?

En bref, pour être capable de saisir le monde de manière circulaire, il est important de sortir de son silo de spécialité. C’est ce qu’on fait les fondateurs de l’École de Palo Alto qui ont allègrement mélangé sciences dites dures, sciences humaines et recherches thérapeutiques : physique, mathématique, psychologie, biologie, hypnose… Cela leur a permis de créer une méthode de résolution de problèmes complexes, avec des réducteurs de complexité adaptés à des logiques circulaires.

Du reste, Ludwig Van Bertalanffy, père de la théorie générale des systèmes, avait pour ambition de « promouvoir l'unité de la science en améliorant la communication entre les spécialistes. »

D’autres différences entre l’approche systémique de l’École de Palo Alto et les autres ?

Dans les approches classiques de la psychothérapie, qu’elles soient d’inspiration psychanalytique, cognitiviste ou comportementaliste, la pathologie est la clé de voûte. Elles abordent une psychopathologie pratiquement de la même manière pour tous les individus. Elles minimisent le fait que l’individu est un système complexe dont le parcours singulier a mené à l’anorexie ou à des troubles anxieux. Ça n’a aucun sens ! Pire, ces approches généralisatrices sont souvent stigmatisantes. Elles enferment les personnes dans une case, ce qui ne les aide pas.

Pour ma part, chaque situation, chaque personne est différente. Ce n’est pas la généralisation qui permet de trouver des solutions, mais l’étude du microcosme où évolue la personne en souffrance. Cette démarche d’anthropologue permet d’identifier les tentatives de solution particulières qui entretiennent les souffrances… Lesquelles, au bout du compte, serviront de levier aux thérapeutes pour aider leurs patients à aller mieux.

Pourquoi avoir choisi l’angle épistémologique pour écrire sur l’école de Palo Alto ?

Parce que cette approche n’est pas ou peu présente dans les cursus universitaires. Nombre de personnes qui s’intéressent à la psychologie ne savent même pas qu’elle existe ! Au moins, j’aimerais que les étudiants aient le choix d’étudier l’approche qui leur parle le mieux, plutôt que d’être embarqués de facto dans une forme de pensée linéaire et réductionniste. C’est en pensant à eux que j’ai écrit ce livre. Je me suis dit qu’une centaine de pages, pour des gens qui ont déjà tant à lire, ce serait accessible.

Et bien sûr, je l’ai écrit pour toutes les personnes curieuses de savoir ce qu’il y a derrière le nom d’École de Palo Alto, pas seulement les praticiens de la relation d’aide.

C’est marrant ce que tu dis, parce que l’approche systémique, parfois appelée systémie, est à la mode ! Notamment dans le monde du coaching. Qu’en dis-tu ?

Certes, les mots sont galvaudés, mais pas seulement. Il y a des tas de gens qui appliquent des principes superficiels d’approches systémiques à des logiques linéaires. Les travaux initiaux ont assez vite donné lieu à des bifurcations, notamment les sciences cognitives et les thérapies familiales. L’approche que je pratique est directement celle qui a été enseignée par les fondateurs, avec les évolutions apportées par Jean-Jacques.

Les thérapies familiales ont développé des rôles génériques qui existeraient dans toutes les familles et se transmettrait de manière intergénérationnelle selon des schémas génériques. 

L’approche systémique et stratégique de Palo Alto est portée par l’âme batesonienne que Jean-Jacques et moi enseignons. Elle adopte une démarche d’anthropologue pour aller à la rencontre de l’être unique que nous avons en face de nous. Tout aussi uniques seront les interactions familiales et les tentatives de solutions à l’œuvre dans cet écosystème particulier.

L'approche systémique et stratégique de Palo Alto adopte une démarche d’anthropologue pour aller à la rencontre de l’être unique que nous avons en face de nous.

Un exemple concret, peut-être ?

Une personne joue un rôle de leader dans sa famille. Elle prend beaucoup sur elle pour assurer le bien-être des autres membres de la famille. L’approche familiale lui fera identifier son rôle et cherchera à l’en faire sortir. L’approche systémique et stratégique cherchera plutôt à faire la part des contextes dans lesquelles ce rôle est bénéfique, et ceux dans lesquelles il est problématique. Elle se concentrera sur les tentatives de solution qui entretiennent ces situations dysfonctionnelles. Puis elle proposera des ouvertures pour que le système puisse gagner en souplesse.

Ou alors… Dans un couple, les conjoints se disputent et s’insultent sans arrêt. L’approche traditionnelle linéaire les enjoindra à améliorer leur communication. Leur enseigner la communication non-violente en thérapie de couple les rendra peut-être plus polis dans leurs insultes… Mais il y a de grandes chances que cette injonction à mieux communiquer ne change rien aux logiques relationnelles derrière les mots.

Quelles sont les confusions les plus fréquentes que tu observes à propos de l’approche systémique ?

Ce n’est pas le même exercice d’explorer le passé d’une personne pour comprendre quel sens elle donne à son parcours et à sa situation actuelle… Et de l’autre côté, de chercher dans ce passé le pourquoi de ses problèmes actuels.

Dans le premier cas, les psychothérapeutes identifient des apprentissages et des récurrences qui façonnent des croyances et des schémas comportementaux, cognitifs et relationnels actuels. Ils tentent de comprendre et d’analyser comment le système en est arrivé à tant de souffrance… Et quelles tentatives il a mis en place pour s’en sortir. 

Dans le second, le psychologue ou psychanalyste cherche une cause linéaire souvent unique, déclencheur des problèmes passés et/ou actuels. Cette causalité permet d’expliquer, de catégoriser et de retourner à l’approche thérapeutique centrée sur la pathologie évoquée tout à l’heure.

En quoi cette connaissance fine de l’épistémologique systémique t’aide-t-elle dans ta pratique ? 

Ça m’a appris à être encore plus humble face à la beauté et la complexité du vivant. Tous les êtres vivants passent par des phases d’ordre et de désordre pour assurer la stabilité de leur fonctionnement. L’être humain, moi comprise, ne fait pas exception à cette règle. Ces phases peuvent se traduire par des dysfonctionnements émotionnels, cognitifs ou comportementaux plus ou moins graves. Et chacun les vit de manière unique. L’épistémologie constructiviste de l’École de Palo Alto empêche de généraliser.

Chaque patient m’apprend l’humilité de mon métier.

Si les lecteurs de ton livre devaient retenir une seule chose, qu’aimerais-tu que ce soit ? 

Avec l’école humaniste, l’École de Palo Alto est la seule approche thérapeutique à proposer une vision du monde. C’est un art de vivre et de penser, à la fois une science et une philosophie. Encore faut-il qu’elle soit comprise et pratiquée pour ce qu’elle est, pas dévoyée par nos habitudes de pensée linéaire. 

En outre, cette approche interactionnelle, relationelle, circulaire, pluridisciplinaire ne se limite pas aux psychothérapies. C’est la seule qui propose des réducteurs de complexité propices à résoudre des problèmes systémiques qui se posent à l’humanité. Les relations internationales, les politiques publiques, l’économie circulaire, la gestion des pandémies mériteraient d’être abordés à travers ce prisme. J’aimerais écrire là-dessus.

L’École de Palo Alto, c’est 20 ans de recherches menées par les cerveaux les plus brillants du XXème siècle. On ne mesure toujours pas le cadeau qu’ils nous ont fait et les possibilités de changement qu’ils ont ouvertes pour le devenir de l’humanité.

Un très grand merci pour cet entretien passionnant Sandrine, j’ai hâte de lire ton futur essai !

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Je vous invite également à écouter le podcast de Chromosome B : Qu'est ce que l'école de Palo Alto? Entretien avec Sandrine Chalet

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