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Et si l’anxiété était votre meilleure assistante de direction ?

Mis à jour le : 17 novembre 2022

La plupart de mes clientes dirigeantes jugent leur anxiété « excessive », « exagérée ». Mais en y regardant de plus près, les symptômes anxieux qu’elles me décrivent ont tous une fonction bien précise. Je vais laisser ici de côté les troubles anxieux nécessitant une intervention médicale, car ce n’est pas mon domaine de compétence.

J’identifie deux formes d’anxiété qui, loin d’être pathologiques, permettent à mes clientes de satisfaire leurs ambitions.

  • L’anxiété contextuelle : certains environnements professionnels promeuvent des personnes anxieuses, qui y performent mieux que les autres.
  • L’angoisse-signal : elle indique à la personne qui la ressent qu’il y a un danger quelque part, dont il est urgent de se prémunir.

Illustration par deux exemples récents de coaching de dirigeantes, dont l’anonymat a bien entendu été respecté.

La vie de dirigeant·e étant par définition stressante, anxiété et stress font souvent partie de la fonction.

Une vie de dirigeante typique dans un grand Groupe international

Lucie est une dirigeante en pleine ascension, qui vient de prendre la direction de la plus grosse filiale de son Groupe. Elle souffre d’anxiété, ce qui suscite des insomnies intenses et l’empêche et de profiter de ses moments de repos. Or, depuis sa prise de poste, son agenda est une course d’obstacles permanente. La pression n’est pas seulement sur les résultats, elle est aussi comportementale et Lucie n’a pas une minute de répit.

Des performances remarquables

Lucie a des moyens pour réaliser tout ça, et sait les utiliser. Ce qui nourrit son anxiété, c’est que chacun des défis que je viens de lister est pour elle comme une épreuve éliminatoire. Si elle se plante, pense-t-elle, c’est la porte. Alors, à chaque nouvelle épreuve, aiguillonnée par la peur de l’échec, Lucie cravache. Et elle passe chaque obstacle avec les honneurs.

Un environnement structurellement anxiogène

Mais alors, des résultats si encourageants ne sont-ils pas suffisants pour soulager l’inquiétude constante de Lucie ? Ne pourrait-elle pas se détendre un peu ? Certes, Lucie est d’un tempérament anxieux. Mais regardons d’un peu plus près l’environnement dans lequel elle évolue. 

Une écurie de bêtes de concours

Dans son Groupe, tous les dirigeants sont des diplômés de grandes écoles. Tous ont été habitués dès l’adolescence à une compétition sévère… Et au stress généralisé qui l’accompagne. La prévalence des drivers « sois parfait » et « fais plaisir » chez ces dirigeants est frappante. Du reste, mon petit doigt me dit qu’à capacités professionnelles égales, ces deux traits psychologiques peuvent départager deux candidats à un poste à responsabilité dans le Groupe.

Une culture de la perfection

Le management du Groupe, lui aussi, répond à une logique implacable. Lors d’une visite de terrain ou d’un entretien d’évaluation, les 99% de performances impeccables seront invariablement ignorées au profit du 1% de résultats estampillés « Peut Mieux Faire ». Lesquels feront l’objet d’une attention obsessionnelle.

Cette culture qui met toujours le doigt là où ça fait mal oblige les leaders à être omniprésents et omnipotents… sous peine de se voir tacler par :

  • Leurs patrons, persuadés maintenir leurs collaborateurs dans un sentiment d’insécurité permanent est une manière efficace de les motiver à en faire plus,
  • Leurs pairs, qui convoitent leur place,
  • Leurs équipes, qui vivent dans la peur de se voir reprocher le moindre raté et de se faire licencier.

Bref. L’anxiété est non seulement recherchée, mais entretenue et valorisée par cet environnement professionnel. À tort ou à raison, ce n’est pas mon sujet ici. Lucie a choisi d’y travailler et choisit d’y rester, en toute connaissance de cause.

L’anxiété n’est pas le problème

Lucie est arrivée là où elle est grâce à son anxiété, pas malgré une anxiété prétendument pathologique. Son problème, c’est la solitude. Du reste, le jour où je prononce le mot au détour d’une reformulation, sa réaction émotionnelle me montre que j’ai tapé dans le mille.

J’observe par ailleurs que pendant ses séances de coaching, Lucie ne fait aucune tentative d’évitement des épreuves auxquelles elle doit faire face. Elle ne cherche pas non plus à exercer un contrôle obsessionnel sur les événements ou les équipes. Je note également qu’elle souffre seule de ses angoisses, car elle ne s’autorise pas à perdre le contrôle de ses comportements devant quiconque. Si contrôle il y a, c’est sur elle-même. Or, ceci est explicitement considéré comme une qualité dans le référentiel des compétences des leaders de son Groupe. Celles et ceux qui expriment des signes d’anxiété ou d’agitation n’atteignent pas ces niveaux de responsabilité.

Le coaching, un remède à la solitude de la dirigeante

Le coaching, c’est le remède qu’a trouvé Lucie contre la solitude. En effet, c’est le seul endroit où elle peut réfléchir et parler « au brouillon » sans prendre de risques. Douter, exprimer ses pensées et ressentis désagréables, mettre des mots sur une gêne ou une angoisse diffuse. Derrière ces manifestations, il y a toujours un problème à résoudre, une décision à prendre, un obstacle à contourner, un risque à peser. 

À la fin de chaque séance de coaching, quand Lucie a bien mis au clair les enjeux des prochaines semaines, les priorités et les messages à passer, elle repart dans l’arène tambour battant, sûre d’elle. Au passage, son sommeil s’améliore.

En quoi des pensées anxieuses peuvent-elles être utiles ?

« La peur rend prudent, l’anxiété rend diligent »

Virginia est une jeune entrepreneuse qui mène brillamment sa barque sur un marché difficile. Elle a tissé de nombreux partenariats et partout où elle passe, ses interventions sont fort appréciées. Elle est posée, réfléchie, organisée, déterminée, et selon sa propre expression : « hyper diligente ». Un jour, elle arrive à sa séance de coaching dans un état d’angoisse inhabituel. Agitée, inquiète, à la limite de la crise de panique, elle évoque une prochaine réunion de projet qui génère chez elle une anxiété anticipatoire intense.

De bonnes raisons d’être anxieuse

En creusant les enjeux et les acteurs de ce fameux comité de projet, je me rends compte que Virginia travaille dans un vrai panier de crabes. Ô surprise, je découvre également que les véritables enjeux de la prochaine réunion ne sont pas ceux qui figurent à l’ordre du jour officiel. Cerise sur le gâteau, les partenaires de Virginia, qui ont plus d’ancienneté et d’influence qu’elle dans le système n’ont pas jugé utile de s’aligner avant la bataille. Et dans tout ça… Virginia risque, sinon sa peau, sa place dans un projet auquel elle tient pour de multiples raisons. De quoi rendre anxieuse n’importe quelle professionnelle normalement constituée.

Le recadrage du jour : aligner ses alliés avant la bataille, c’est un acte de leadership, pas une marque de faiblesse

Une fois la cartographie des acteurs et les enjeux bien posés, je demande à Virginia ce qui a été fait entre ses alliés et elle pour préparer cette échéance à gros enjeux. Rien ! Je manque de m’étrangler. Comment ça, rien ? Tes partenaires senior vont à cette réunion la fleur au fusil, en espérant que ça va bien se passer ? Ils sont fous ces Romains !

– Mais enfin, je ne vais pas m’abaisser à leur demander leur protection sous prétexte que j’ai peur de me faire rentrer dedans par un opposant vicieux !

– Tu ne joues pas seule et tes peurs sont plus que légitimes. Tu joues au sein d’une alliance et cette alliance doit savoir ce qu’elle attend de cette réunion et qui fait quoi avant, pendant et après pour atteindre son objectif. En prenant l’initiative d’un alignement entre alliés, tu ne quémandes pas de la protection, tu prends la tête stratégique de l’alliance. La faiblesse, c’est d’aller à la bataille en ordre dispersé.

Si tu veux calmer ton anxiété, écoute-la

La crise anxieuse de Virginia n’était pas irrationnelle. Elle s’apprêtait à mettre les pieds dans un véritable nid de guêpes et le sentiment de danger qu’elle ressentait était parfaitement justifié. 

Au sortir de la réunion qui s’est passé à merveille, Virginia s’étonne même du soutien qu’elle a reçu. Et pour cause : elle a transformé sa crise d’angoisse en préparation, ce qui lui a permis d’arriver confiante et soutenue à la réunion. Aux dernières nouvelles, l’opposant n’a rien trouvé à redire, et lui a même prêté allégeance. Tiens tiens…

Virginia a encore un peu de mal à mesurer que son anxiété lui a sauvé la mise. Elle se reproche sa peur excessive. Qu’à cela ne tienne, je parie qu’elle n’ira plus jamais au feu sans anticipation stratégique. Et que, même si elle ne se voit pas comme une stratège, les vertus d’une alliance efficace lui paraîtront plus séduisantes que celles de l’héroïne solitaire.

Pour conclure sur la gestion de l’anxiété chez les dirigeant·e·s

Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire sur les états anxieux des leaders et la manière de les aider à mieux vivre avec. Ce que je choisis de retenir pour aujourd’hui, c’est que :

  • Le stress est souvent proportionnel au niveau de responsabilité. Ça fait partie du contrat pour être dirigeant·e. Celles et ceux que l’anxiété fait trop souffrir font d’autres choix de carrière. Chacun son kif, ce n’est pas à moi d’en juger.
  • L’anxiété nous signale souvent une épreuve ou un danger : à nous ensuite de nous donner les moyens de les surmonter.

Bien sûr, il existe des versions pathologiques de ces symptômes, jusqu’aux troubles anxieux généralisé qui nécessitent une prise en charge médicale pour ne pas dégénérer en dépression notamment. Mais pour la plupart des dirigeant·e·s que je connais, l’anxiété est une excellente assistante de direction ! 

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