OK, lequel d’entre vous vient de me traiter de connard ? © ifunny.co
Ceux qui se réjouissaient de troquer les vidéoconférences pour de « vrais » échanges en salle de réunion ou à la machine à café en sont pour leurs frais : maintenant, tout cela faire masqué.e… et c’est parti pour durer encore un moment.
Privée de la lecture du visage de mes interlocuteurs, je suis perdue, comme beaucoup de monde sans doute. La lecture d’un article qui m’a profondément dérangée m’a rappelé que la communication non-verbale ne se limitait pas aux expressions faciales et que tout compte fait, les recherches que j’avais faites pour mon livre Et si je faisais bonne impression ? Communication non-verbale, mode d’emploi restaient d’actualité, même masquée. Car l’effort d’adaptation est loin d’être évident quand on perd à ce point nos repères.
L’article commence par une anecdote. Dans un train hollandais, un couple masqué assiste à une altercation. Madame, psychologue d’origine saoudienne, remarque que son mari européen fait des efforts inaccoutumés pour lire dans ses yeux ce qu’elle pense de la situation. Et cela lui rappelle son enfance, dans un monde où les femmes sont voilées pour toute interaction sociale non strictement féminine.
Et la journaliste de continuer, imperturbable comme j’imagine qu’on peut l’être à la BBC (je n’en suis pas à un cliché interculturel près aujourd’hui) : « Des millions de femmes dans le monde ont le visage voilé tous les jours, avec apparemment peu de problèmes d’entrave à la communication ».
Bon là, j’avoue, j’ai failli m’étrangler avec mon Sunday breakfast tea. Pas de problème d’entrave à la communication ? Et si ce n’est pour empêcher les femmes de communiquer avec le premier mâle venu, alors à quoi servent ces voiles qui masquent tout ou partie de leur visage ?
Non seulement cette phrase fait peu de cas du handicap social auquel les femmes au visage voilé sont soumises toute leur vie durant, mais aussi, la perspective d’y être soumise moi-même m’est soudain apparue aussi réelle qu’insupportable.
Malgré l’inconfort que j’éprouve à porter un masque (surtout avec des lunettes), je m’étais pliée sans mal à l’obligation de le porter en public ces dernières semaines, ne serait-ce que par devoir civique. Et je continue à le porter. Cela étant, la lecture de cette phrase m’a fait toucher du doigt un instant ce que ressentent ceux qui voient dans le masque non une mesure de protection sanitaire, mais une atteinte à leur liberté. Autant le cadrage « protéger les autres » me suffisait pour m’astreindre à cette discipline désagréable, autant le cadrage « te voilà à égalité avec les femmes qui se voilent le visage pour des raisons culturelles » m’est apparu parfaitement odieux.
Je ne suis toujours pas d’accord avec ceux qui font valoir que leur liberté de ne pas porter de masque est supérieure à leur devoir civique de protection des autres. Cela dit, avoir fait l’expérience de me dire « ce fichu bout de tissu pourrait, à terme, constituer une atteinte à l’un de mes droits humains que je considère fondamentaux » m’a fait réfléchir là où je m’étais contentée d’obéir machinalement.
L’article ne fait pas mystère que l’être humain a développé des compétences de lecture non-verbale qui s’appuie beaucoup sur l’expression du visage, principalement les zones de la bouche et des yeux. Or, cette lecture peut s’avérer trompeuse. Les expressions faciales font partie d’un ensemble de signaux que nous interprétons de manière globale et subconsciente. Il est facile de les interpréter de travers si nous manquons d’indices complémentaires comme les gestes, la posture ou la voix. C’est la raison pour laquelle l’analyse et le traitement des émotions par l’informatique affective reste à un stade embryonnaire.
Pas avare d’affirmations à l’emporte-pièce, l’article cite un professeur d’informatique de l’Ohio State University, Aleix Martinez, qui assène « le fait de porter un masque ou d’avoir le visage couvert ne devrait pas empêcher les autres de comprendre ce que vous essayez d’exprimer ». Pour abonder dans ce sens, plusieurs femmes interrogées dans l’article partagent leur expérience de la communication voilée, disant qu’au fond, ce n’est qu’une question d’adaptation.
Pour le locuteur, ou plutôt la locutrice :
– Exagérer la modulation de sa voix (remplacer du visuel par de l’auditif),
– Exagérer l’expressivité des yeux et des sourcils (visuel).
Pour la personne qui écoute :
– Faire plus attention aux gestes et au ton de la voix (visuel et auditif),
– Poser davantage de questions (verbal)
Donc en gros, une bonne partie de l’adaptation à la communication masquée / voilée passe par le remplacement d’expressions faciales par des signaux gestuels, verbaux et para-verbaux accentués. “Tant que vous avez accès à d’autres signaux (que les expressions faciales), vous êtes tranquille” continue l’inénarrable professeur Martinez.
Et qu’est-ce qu’on fait pour les 5% de la population mondiale qui ont une déficience auditive invalidante ? Pour ceux qui lisent sur les lèvres ou dont la langue des signes s’accompagne d’expressions du visage particulièrement éloquentes ? Pour avoir entendu des malentendants se plaindre d’être plus exclus que jamais par le port du masque, c’est pas gagné, à moins de rester derrière son écran de vidéoconférence, comme aux plus beaux jours du confinement. Quant aux masques transparents en vente sur internet, la plupart ne sont pas sûrs d’un point de vue sanitaire.
Pour les animateurs qui ont repris leur activité en salle, pas sûr que le masque soit préférable à la vidéo-conférence, même si tous les animateurs ne se retrouvent pas dans la situation du dessin qui illustre ce post. Savoir qui a posé une question, lire le niveau d’engagement des participants semble être un véritable défi si j’en crois mes collègues.
Le port du masque, qui n’est pas en Europe une habitude sanitaire comme en Extrême-Orient ou une coutume culturelle comme dans beaucoup de pays du Moyen-Orient, nous demande un effort d’adaptation coûteux, et parfois même inaccessible.
La communication non-verbale masquée modifie profondément nos interactions, notamment dans le cas d’échanges à forte intensité émotionnelle, ou en groupe.
Sans avoir de difficulté auditive particulière, une bonne partie de mes clients préfère maintenir nos réunions en virtuel plutôt que de devoir se rencontrer en masque-à-masque. Je suis curieuse de faire l’expérience, prévue prochainement, d’une réunion à 20 masqués… je ne manquerai pas de la partager.
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