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Le coaching individuel a-t-il un sens pour un coach systémique ?

Mis à jour le : 2 mars 2022

« L’essor du coaching individuel s’inscrit dans celui du développement personnel, courant de pensée et ensemble de méthodes visant l’accroissement des facultés psychiques, intellectuelles, relationnelles de l’individu et l’épanouissement de soi (…) », nous dit Scarlett Salman dans Aux bons soins du capitalisme.

De fait, beaucoup de demandes de coaching individuel visent à développer les aptitudes personnelles des individus : confiance en soi, intelligence émotionnelle, développement du leadership… avec souvent, en toile de fond, un regard critique sur les aptitudes du ou de la « bénéficiaire ».
Or ces aptitudes sont pour une large part le fruit de interactions entre les coachés et leur environnement professionnel. Dans ce contexte, se focaliser sur l’individu seul est souvent une impasse.

C’est l’approche systémique et stratégique de Palo Alto qui m’a permis de donner du sens à l’expression paradoxale “coaching systémique individuel”. L’étude de cas présentée dans cet article s’inspire d’un cas réel, que j’ai vécu au début de ma formation à l’Institut Gregory Bateson.

A défaut de vous raconter une histoire merveilleuse où tout est bien qui finit bien, je vous emmène dans l’atelier du coach, afin d’aider les personnes qui prescrivent du coaching individuel en entreprise à donner à cette forme d’accompagnement professionnel les meilleures chances de réussite.

Le cadrage traditionnel du coaching positionne le coach auprès de l’individu « qui POSE problème ».

Une demande de coaching individuel ordinaire

Blaise ne dit jamais non à ses clients internes : il accueille chaleureusement toutes les demandes, traite ce qu’il peut, et laisse le surplus en souffrance sur son bureau. Emma, sa manager, passe l’essentiel de ses week-ends à terminer le travail que Blaise a pris l’habitude de lui laisser bien en évidence sur son bureau tous les vendredi soir. Au bord du burn-out, Emma va voir la DRH pour trouver une solution. Quelques séances de coaching apprendront peut-être à son collaborateur à dire non.

Un enthousiasme étonnant au démarrage d’un coaching individuel

La réunion tripartite se passe parfaitement : Blaise déclare être ravi de se faire coacher et remercie l’entreprise de lui proposer cet accompagnement personnel. Il assure qu’il va travailler sa gestion du temps, sa gestion du stress, son affirmation de soi… Bref, un coaché modèle, qui met de l’énergie à construire son propre programme de coaching et à montrer à tout le monde qu’il est prêt pour ce travail sur soi.

Emma et la DRH comptent sur ce coaching pour que Blaise trouve ses propres solutions à toutes ces questions.

Bien que coach systémique débutante, je trouve cet enthousiasme un peu suspect. N’étant pas assez outillée pour savoir quoi faire de cette intuition, je finalise le cadre du coaching en proposant à tous les participants de faire le point sur les progrès de Blaise après 3 séances.

L’impasse d’une approche du coaching purement individuelle

Une fois en face-à-face, Blaise continue à jouer les coachés modèles. Il se prête volontiers au jeu du questionnement, me félicite pour mon écoute active, se prête volontiers aux mises en situation, construit docilement son plan d’actions en fin de séance, s’intéresse à ma formation pour devenir coach systémique…

A la séance suivante, il arrive en expliquant qu’il n’a pas pu mettre en œuvre le plan d’action auquel il s’était engagé la fois précédente. Et ce petit jeu se répète à chaque séance. Je suis à court d’outils de coaching et, pour tout dire, je commence à sentir l’agacement monter face aux flagorneries de Blaise.

Avant d’apporter ce cas en supervision, je questionne mon coaché sur cet écart répété entre ses engagements et ses actes. Blaise se dévoile alors sans difficulté :

– Dans mon environnement professionnel, dire non, c’est mal vu. Si je commençais à dire non, je me mettrais tout le monde à dos. Or ici, le relationnel, c’est sacré. Notre culture d’entreprise est très bienveillante, vous savez… et moi, je suis « corporate ». Puis je vais vous dire : je reçois trop de demandes : la seule solution, c’est de dire oui à tout… et ensuite, de faire le tri sans rien dire à personne ! ».    

– Alors Blaise, c’est quoi la solution selon vous ?

– Elle est toute trouvée, la solution ! Je laisse ce que je ne peux pas faire à Emma.

Ce qui est un problème pour Emma est une solution pour Blaise. Il n’a aucune raison ni aucune motivation à changer.

Un coach systémique positionne son intervention auprès de l’individu « qui A un problème ».

À qui cette situation pose-t-elle un problème ? 

Aux utilisateurs ? Non. Leurs demandes sont bien accueillies et traitées rapidement.

Peut-être à l’entreprise ? Non plus : les indicateurs sont bons.

Et si c’était à Blaise ? Pas davantage. Il entretient d’excellentes relations avec tous ses clients internes et gère sa charge de travail comme bon lui semble, sans jamais être inquiété.

Alors à Emma ? Assurément. Elle a le choix entre travailler tous les week-ends pour rattraper le retard de Blaise, ou subir le mécontentement des clients internes. À terme, sa direction finira aussi par si elle ne le fait pas. 

Celle qui a un problème dans cette histoire, c’est Emma, dans la mesure où c’est elle qui a le plus besoin que la situation change.

On peut aussi imaginer que la DRH a besoin de trouver rapidement une solution. Et ce, pour prévenir le burn-out d’Emma et des semaines, voire des mois d’arrêt maladie.

Qui doit bénéficier d’un coaching dans cette situation ?

L’idéal, pour un coach systémique c’est de pouvoir travailler avec la personne la plus demandeuse de changement, en l’occurrence Emma. Or cette dernière a le sentiment de subir la situation et considère qu’elle n’a rien à se reprocher. Elle a beau concéder que c’est elle qui a un problème, pas question pour elle de se faire coacher. « Ce n’est pas moi qui pose problème, c’est lui ! ». 

D’un point de vue systémique, les deux protagonistes entretiennent une relation qui profite à Blaise et coûte à Emma. 

Mais ça, Emma n’était pas prête à l’entendre et cet accompagnement coaching s’est arrêté là. Retour chez mon superviseur pour prendre du recul et savoir quelle posture j’aurais dû adopter.

Comment faire en tant que coach systémique, quand la personne qui demande le changement refuse d’être coachée ?

Emma refusait d’être coachée car elle se sentait victime de la situation. En revanche, je l’ai su quelques mois plus tard, elle a trouvé acceptable de se positionner en manager-coach. Pour y arriver, elle demandé à bénéficier d’une formation pour devenir coach de Blaise et l’aider à changer de comportement.

En cadrant l’accompagnement individuel comme une opportunité de développement managérial, la Responsable RH a amené Emma à prendre sa part de responsabilité dans le changement de comportement de son collaborateur. 

En résumé, qu’est-ce que cette expérience m’a appris pour ma pratique de coach systémique ?

Sans remettre en cause le caractère individuel de la relation de coaching, je privilégie autant que possible une approche interactionnelle. Il n’y a pas de coupable, mais toutes les parties prenantes peuvent faire partie de la solution. Le coaching systémique permet donc de passer d’une logique de culpabilité à une logique, plus orientée solution à mon goût, de responsabilité.

Mon rôle de coach systémique professionnelle est également de préparer le terrain avec les personnes qui prescrivent du coaching en entreprise : DRH, responsables Talent Development. Clarifier avec elles ce qui peut être attendu d’un processus de coaching et leur montrer quel rôle elles peuvent jouer dans l’accompagnement au changement fait partie intégrante de mon métier de coach.

Si vous voulez en savoir plus sur les principes théoriques qui sous-tendent cette étude de cas, je vous invite à lire mes principes de coach systémique, et notamment Une approche systémique du coaching en entreprise.

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