Logo Bridge the Gap with Cécile Guinnebault
Contact

L’usage de la force au jeu de Go, par Motoki Noguchi : des enseignements intemporels

Mis à jour le : 29 septembre 2023

Motoki Noguchi est le plus français des Japonais, et le plus japonais des champions de France de Go. Cette année encore, pour la sixième fois, il vient de gagner le Championnat de France de Go.

Depuis plus de 20 ans qu’il habite « au pays des cartésiens », Motoki est l’un des contributeurs majeurs au développement du Go en France. Il a formé des générations de joueurs et écrit quatre livres couvrant différents aspects de l’apprentissage du Go. 

Son dernier opus, L’usage de la force au jeu de Go, aux éditions Praxeo, m’a interpellée à plusieurs titres. Motoki y aborde l’analyse stratégique du contexte, les rapports de force, la direction de jeu, la gestion des priorités. Autant de notions que je manie dans mon métier de coach. En outre, il les aborde via des principes très simples, des « réducteurs de complexité ». 

Motoki est un ami de longue date, ainsi qu’un partenaire d’animation exceptionnel en entreprise. Il fascine par sa capacité à rendre l’essence du Go intelligible à tout public. Il charme par sa gentillesse et son humour. Et il captive par son érudition – au Go, mais dans bien d’autres aspects de la culture japonaise.

Inviter Motoki à parler de L’usage de la force au jeu de Go dans Bridge the Gap était pour moi un très grand plaisir, intellectuel autant qu’amical.

Cécile : Bon, si je veux te mettre à l’aise, je ne peux pas commencer cette interview par te demander de parler de toi ! 

Motoki : Héhé, je suis Japonais…

L’usage de la force au jeu de Go est un titre… fort ! Pourquoi ce choix ?

C’est le thème du livre bien sûr, et c’est un choix de mon éditeur. Je me demande s’il n’y a pas une référence à Star Wars « Que la force soit avec toi » !

Fondamentalement, le Go est un jeu de rapport de forces. Il faut construire et utiliser intelligemment des forces pour partager l’espace du Goban (damier). Sans construction et utilisation intentionnelle de forces, tu subis le partage et il ne peut pas t’être favorable. Par exemple, une analyse publiée il y a quelques mois par le gouvernement allemand constate que dans les relations commerciales, l’Allemagne s’est complètement laissée asphyxier par la Chine sans le savoir. Pour symboliser cette leçon amère, elle a choisi le jeu de Go comme couverture du rapport ! Voilà ce qui se passe quand on ne fait pas attention aux rapports de forces et à leurs conséquences.

Qu’est-ce que c’est pour toi, une force ?

Au Go, une force équivaut à un groupe difficilement attaquable. Cela peut être deux choses : 

  • Un groupe parfaitement vivant : une réalisation tellement solide qu’aucune attaque ne peut plus venir la détruire, aucun enfermement ne peut plus venir l’étouffer.
  • Un ensemble de pierres qui regarde vers un espace ouvert, que je vais pouvoir utiliser pour mener des attaques ou pour construire une grande zone d’influence, entre autres.

Pourquoi as-tu besoin de la force ?

Parce que le Go est un jeu où pour gagner, tu dois faire un tout petit peu plus de profit que ton adversaire en jouant exactement le même nombre de coups. Le Go est un jeu de “partage intelligent”, 1/2 point d’écart suffit pour gagner. Pour que ce partage intelligent se fasse en ta faveur, tu dois créer des situations dans lesquelles tu es en position de supériorité numérique, qui te permettront de faire basculer momentanément le rapport de forces… et d’engranger des points d’avance qui se retrouveront dans le résultat final. Au bout du compte, une partie de Go est une série de moments où les joueurs construisent / consolident leurs forces, et de moments où ils les utilisent pour faire basculer le rapport de forces en leur faveur. Les bénéfices n’arrivent qu’à la fin de la partie, au profit du joueur qui aura le mieux utilisé ses forces.

Le Go est un jeu de “partage intelligent”,
1/2 point d’écart suffit pour gagner.

Comment s’y prendre ?

Dans mon livre, je propose 2 principes simples mais terriblement efficaces pour choisir sa direction de jeu avant de se lancer dans des calculs tactiques :

  • Un coup urgent avant un gros coup,
  • Jouer loin de la force.

Je dis 2 principes, mais ils disent en fait la même chose : tu joues un coup urgent autour d’un groupe faible, donc loin d’une force, que ce soit la tienne ou celle de l’adversaire.

Un coup urgent avant un gros coup… Je me demande si ça parlerait à des managers qui courent en permanence après des urgences… Et ont du mal à dégager du temps pour prendre du recul.

Au Go, il est très important de rester sur un nombre limité de priorités. Je vois beaucoup de joueurs 1er kyu / 1erdan, qui commencent à avoir un bon niveau. J’observe que parce qu’ils ont beaucoup travaillé pour maîtriser les bases du Go, ils voient plein de choses à faire dans leurs parties. Ils veulent alors faire plus de choses qu’ils ne peuvent en faire. C’est en essayant d’en faire trop qu’ils se plantent. Au Go, si tu fais des mauvais choix de priorités, la punition arrive très vite !

Pour devenir fort au Go, 
il vaut mieux en faire moins, mais le faire bien.

Et que réponds-tu à ceux qui te disent qu’il faut capitaliser sur ses forces au lieu de s’évertuer à corriger ses faiblesses ?

Haha, je leur dis qu’ils n’ont pas tort ! Mais remplace “faiblesse” par “urgence”. Tu as démarré quelque chose : pour obtenir un retour sur ton investissement, il est urgent de consolider. Sans quoi tout ton travail précédent sera fragilisé, voire détruit à terme. Donc consolide ce que tu as déjà investi avant de te précipiter sur une grosse espérance de gain. Sinon, tu risques fort de perdre plus que tu n’as gagné en jouant ton gros coup. Cette patience est frustrante sur le moment, mais payante à long terme.


Et à ceux qui disent qu’il faut jouer avec ses alliés plutôt que de donner trop d’attention à ses opposants ?

Ce principe ne te dit pas d’abandonner tes alliés, bien au contraire ! Il te dit de pousser poliment ton adversaire vers tes alliés… Dans une zone où tu pourras combattre en situation de supériorité numérique. Là, tes alliés jouent leur rôle au maximum ! Souviens-toi : combats chez toi, et sois prudente chez l’adversaire. Lui aussi, a envie que tu t’approches de sa force pour t’attaquer !

Combattre à domicile,
être prudent chez l’adversaire.

De bons proverbes suffisent-ils à devenir fort au Go ?

Parce que ça a un côté magique, de pouvoir prendre des décisions stratégiques complexes avec des principes aussi simples…

Les principes et les proverbes, c’est très utile pour démarrer. Ça donne des points de repères aux joueurs qui, sans ça, ne sauraient pas où jouer. Et puis, quand tu progresses, appliquer des principes te permet d’être claire sur ton intention de jeu. Tu peux ensuite réduire le nombre de scénarios que tu vas devoir calculer pour assurer une bonne exécution à ta ligne de jeu.

Un principe stratégique réduit la complexité mais ne dispense pas les joueurs de réfléchir, si j’ai bien compris.

Exactement. J’ai rencontré des tas de joueurs de Go qui ne jouent que par proverbes, qu’en général ils ont mal compris. J’appelle ça des « proverbes parasites » qui nuisent à la réflexion. En appliquant des proverbes sans réfléchir, ils se croient dispensés d’évaluer correctement le contexte – les coups urgents et les gros coups – et de se fixer une intention de jeu. Dans ces conditions, personne ne peut aller très loin au Go.

C’est du reste dans un séminaire que nous avons animé ensemble qu’une des idées fondatrices de ce livre est née. J’avais commenté une partie de professionnels de Go pour illustrer la notion de “travail des pierres”. Cette dernière nécessite à la fois des principes et de la réflexion pour utiliser les pierres alliées au maximum de leur potentiel.

Je me souviens aussi de la partie que nous avons jouée devant les participants de ce séminaire. Tu m’as dit à un moment : « Après t’avoir entendu, j’ai envie de jouer un coup global au lieu de répondre localement à ton dernier coup ! ». C’était exactement ce qu’il fallait faire dans cette position-là. J’ai voulu donner la même clé de direction de jeu à tous mes lecteurs à travers ce livre.

Mes clients en entreprise, eux aussi, sont abreuvés d’injonction qui agissent comme des “proverbes parasites”…

Dans tous les domaines, un principe stratégique ne dispense pas d’évaluer le contexte et de réfléchir à son intention. Bien utiliser un principe, c’est sortir un instant de la complexité du jeu pour y replonger là où c’est efficace. J’aime beaucoup une citation de Brancusi qui dit : 

La simplicité, c’est la complexité résolue.

Une dernière question, Motoki.

Dans L’usage de la force au jeu de Go, tu mets en scène ton enseignement avec un jeune joueur Français. Celui-ci te pousse régulièrement dans tes retranchements pour prouver ce que tu avances.

Ah ça, c’est vraiment typique des Français. Au Japon, on apprend par la mémorisation. En France, les gens ont besoin de réfléchir. Ça leur donne une forme de créativité et de liberté. Je me rappelle un très jeune élève. Il m’a fait la révolution française parce qu’il refusait de prendre ce que je lui enseignais sans comprendre ! D’une certaine manière, les Français ne prennent jamais pour argent comptant quelqu’un qui leur dira « Soumets-toi, je suis plus fort que toi ». Ils contesteront et ne se rendront que lorsqu’ils auront exploré les limites de leurs propres forces.

Cette différence culturelle entre la discipline japonaise et la contestation française est profonde. Elle provoque parfois des situations diplomatiques délicates dans les échanges franco-japonais auxquels je participe ! Ça m’arrive de dire à mes interlocuteurs japonais « Si vous forcez, on aura la révolution française ! »

Un immense merci, Motoki. L’usage de la force au jeu de Go est certes un livre destiné aux joueurs de Go. Mais c’est aussi une source d’inspiration pour mon travail de coach.

J’identifie 4 parallèles avec ma pratique d’executive coaching.

  • Elle remet la notion de force à sa place : la force, c’est un moyen au service d’une fin qui est le « partage intelligent » des intérêts respectifs.
  • Un coup urgent avant un gros coup, c’est le principe de gestion des priorités qui va permettre de jouer sereinement, sans avoir à courir éteindre des incendies partout.
  • Jouer loin des forces, c’est tirer parti de ses alliés et ne pas aller narguer l’autre là où il est fort.
  • Jouer avec des principes, c’est orienter sa réflexion, pas l’éteindre.

Et je voulais te dire que ce matin, j’ai fait une séance de coaching en l’illustrant avec une notion que j’ai trouvée dans ton livre : les pierres légères et les pierres lourdes. Je te raconterai ça à l’occasion !

Vous voulez en savoir plus sur mon offre de coaching avec le jeu de Go ?

Rendez-vous à la rubrique Mes Offres – Développez votre leadership avec le Jeu de Go

Vous ne jouez pas assez au Go pour lire L’usage de la force au Jeu de Go mais les réducteurs de complexité vous intriguent ?

Lisez mes études de cas sur les applications du Go au coaching sur le blog de Bridge the Gap Coaching

Ecoutez les merveilleux podcasts de Sophie FRANTZ qui m’interroge sur les apports du Go en entreprise :

Vous jouez au Go et vous voulez progresser avec un enseignement rigoureux et vivant ?

Jeu de Go : le langage des pierres, Motoki Noguchi, ed Praxeo

Tsumego : l’art du combat au jeu de Go, Motoki Noguchi, ed Praxeo

Chuban : la stratégie au jeu de Go, Dai Jun Fu, ed Praxeo

Yose : fins de partie au jeu de Go, Dai Jun Fu et Motoki Noguchi, ed Praxeo

L’usage de la force au jeu de Go, Motoki Noguchi, ed Praxeo

crossmenuchevron-down