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Le Go en 36 stratagèmes, une source d’inspiration dans les relations de pouvoir

Mis à jour le : 9 décembre 2024

Les 36 Stratagèmes, au même titre que l’Art de la Guerre de Sun Tzu, font partie des classiques de la littérature militaire chinoise. J’en connaissais quelques titres poétiques lus dans les livres du thérapeute stratégique Giorgio Nardone. Et bien sûr, j’en avais entendu parler dans le monde du Go, sans pour autant les avoir lus en détail.

La parution en 2024 du livre Le Go en 36 Stratagèmes, 4ème opus de Dai Junfu 8ème Dan, m’a donné envie de les découvrir plus en détail et de les intégrer à mes sources d’inspiration dans le domaine du coaching systémique et stratégique.

C’est donc plus en coach qu’en joueuse de Go que j’ai interrogé Dai Junfu à propos d’un ouvrage qui s’adresse clairement aux joueurs de Go. Je le remercie de s’être prêté de bonne grâce à mes questions décalées.

Cécile : comment vous présenter au lectorat de Bridge the Gap ?

Junfu : J’ai appris à jouer au Go à 6 ans et j’ai atteint mon pic de niveau quand j’étais lycéen. Je jouais alors régulièrement dans les tournois nationaux amateurs. J’arrivais régulièrement 5ème ou 6ème, mais pas sur le podium. J’ai ensuite intégré la 4ème meilleure université de Chine, ai travaillé un an en Chine, puis suis venu en France en 2007 où j’ai intégré une école de commerce réputée, l’EM Lyon. 

Je pratique peu le Go en Europe, surtout depuis la victoire de l’IA sur l’intelligence humaine, qui reste pour moi comme un rêve brisé. Le Go est resté un outil : j’ai du reste écrit mon mémoire de fin d’études à l’EM Lyon sur l’application de la théorie du Go dans la gestion d’entreprise.

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, je suis contrôleur de gestion chez Ernst & Young, un des plus grands cabinets d’audit et de conseil. À côté, j’ai la passion de partager mes connaissances sur le Go.

En 2010, j’ai publié Chuban, un ouvrage de stratégie à destination des joueurs de Go.

Puis en 2013, Yose, un ouvrage très technique pour s’améliorer dans la fin de partie.

En 2022, l’Esprit du Go, préfacé par Jean-Pierre Raffarin, à destination du grand public.

Et enfin en 2024, Le Go en 36 Stratagèmes.

Quelle est l’intention du Go en 36 Stratagèmes ?

Les 36 Stratagèmes sont un pilier de la sagesse militaire chinoise. Ils font partie de nos gènes ! En Chine, on y fait référence tout le temps. Il y a 30 ans, Ma Xiao Xun, un joueur de Go professionnel Chinois avait publié une version des 36 Stratagèmes appliqués au Go et ce livre m’avait beaucoup éclairé. J’ai voulu faire la même chose à destination d’un public occidental, peu familier avec cette référence culturelle. Il existe de nombreux ouvrages occidentaux sur Les 36 Stratagèmes, mais aucun qui établisse un parallèle avec le Go. J’étais le seul à pouvoir associer les deux.

À qui s’adresse Le Go en 36 Stratagèmes ?

À des joueurs de Go qui ont déjà un certain niveau. Les anecdotes historiques chinoises constituent une source d’inspiration pour aborder autrement la réflexion stratégique. Ce n’est pas un livre technique, mais plutôt une source d’inspiration pour s’ouvrir l’esprit.

Comment utilisez-vous les 36 stratagèmes dans votre réflexion ?

Dans une partie, il ne faut pas se perdre dans la réflexion. L’association vient a posteriori, en analysant la partie. Avec des joueurs Chinois, c’est facile de faire référence aux 36 Stratagèmes, car tout le monde les connaît. Alors que si je dis à un Occidental « Avec ce coup, en cachette je passe à Chen Cang », ça ne va rien lui dire du tout ! En revanche, il existe des épisodes militaires occidentaux qui vont mieux leur parler. Prenons l’exemple du Débarquement en Normandie : les Alliés avaient fait fuiter qu’il se déroulerait dans le Pas-de-Calais, où la Manche est la plus étroite. Les Allemands ont donc massé leurs troupes à cet endroit-là, et les Alliés ont débarqué plus au sud, sur une côte mal défendue par les troupes nazies. Ce stratagème illustre parfaitement le stratagème « Faire un bruit à l’est, puis frapper à l’ouest ».

Les 36 stratagèmes sont répartis en 6 chapitres : à quoi correspondent-ils ?

Ces 6 familles de stratagèmes, ce n’est pas moi qui les ai créées, c’est l’auteur initial ! Chacune regroupe des situations stratégiques particulières : 

  • Stratagèmes en avance : j’ai l’avantage dans la partie, comment en tirer le meilleur parti ?
  • Stratagèmes pour situations désespérées : qu’est-ce que je peux tenter en dernier ressort avant d’abandonner une partie ? 
  • Les 4 autres familles de stratagèmes (créer la confrontation, attaque, situations embrouillées, batailles d’union et d’annexion) sont destinées à créer un avantage stratégique au cours de la partie.

Dans chacune de ces situations, un stratagème est une ruse pour créer un avantage.

Est-il juste de dire que le stratagème rajoute une dimension de guerre psychologique à la guerre stratégique sur le goban ?

Le Go est un jeu où l’information est parfaite : tous les coups joués depuis le début de la partie sont visibles sur le goban. Ce qui provoque des erreurs n’est donc pas l’information dont les joueurs disposent, mais leur capacité à en faire bon usage sous la pression de l’enjeu et du temps.

En tournoi, j’ai un intérêt stratégique à dissimuler la pression que je ressens, en regardant ailleurs que la zone de la partie à laquelle je réfléchis, ou en me levant pour aller regarder les parties des autres. Symétriquement, je sais que jouer vite accentue la pression sur mon adversaire. La pression réduit la confiance dans ses propres jugements. Toute altération de la vigilance et du jugement de l’adversaire est propice à la création d’un avantage stratégique. 

Par exemple, le stratagème « En dupant le ciel, traverser la mer » est un stratagème qui consiste à endormir la vigilance de l’adversaire. Les grands stratèges militaires, même dans une situation parfaite, savent créer un avantage militaire en profitant de la situation sur le terrain.

Vous arrive-t-il de choisir un stratagème en fonction de ce que vous connaissez de la psychologie de votre adversaire ?

Non. Je sais que certains joueurs font ça, préparent des stratagèmes avant de jouer la partie. Moi, je joue mes parties sans les préparer. Je fais confiance à ma capacité de lecture stratégique de la partie et à ma connaissance profonde des 36 Stratagèmes et de la technique du Go. Mon style est très complet, je n’ai pas besoin de m’adapter à mes adversaires.

Vous avez choisi une partie jouée par AlphaGo, la seule que l’Intelligence Artificielle ait perdue contre Lee Sedol en 2016. Croyez-vous que l’IA puisse se faire avoir deux fois au même stratagème ?

Justement non ! C’est en ça que la victoire de l’IA a brisé le rêve des joueurs humains. Les stratagèmes, ça marche très bien contre les humains, dont la capacité de calcul est limitée sous la pression du temps, et dont les affects peuvent troubler le jugement. L’intelligence artificielle a une puissance de calcul énorme et pas d’affect. Aujourd’hui, c’est l’IA qui a la puissance de « troubler l’eau pour prendre du poisson ». Les poissons, c’est nous, les humains !

Du reste, il n’y a pas qu’au Go que l’IA représente une menace. Nous sommes déjà ses esclaves dans tous les jeux. Dans la vraie vie, il faut voir la capacité de l’IA à composer avec tous les aléas, je ne sais pas.

Pour conclure cet échange, quel conseil souhaitez-vous donner au lectorat du Go en 36 stratagèmes ?

Ce livre est destiné à ouvrir l’esprit, à développer le sens stratégique. C’est une source d’inspiration, pas une méthodologie ou une façon d’améliorer sa capacité de calcul.

Ne cherchez pas à appliquer tel ou tel stratagème dans votre partie. Lisez, jouez puis réfléchissez a posteriori

C’est un peu comme donner de l’engrais à une plante : sa croissance dépendra essentiellement des circonstances. La lecture des livres de Go, ça aide à développer ses compétences à condition de savoir les convertir dans ses propres situations.

Merci pour cet échange, Junfu. 

Pour découvrir les ouvrages de Dai Junfu :

Dai Junfu, le Go en 36 stratagèmes, Ombres Chinoises, 2024

Marc Smia et Dai Junfu, L’esprit du Go, Descartes & Cie, 2022

Dai Junfu, Chuban, la stratégie au jeu de Go, Praxeo 2010 – 2022

Dai Junfu et Motoki Noguchi, Yose, fins de partie au jeu de Go, Praxeo 2014

Pour aller plus loin dans l’utilisation des stratagèmes (chinois mais pas que) dans l’approche de Palo Alto :

Giorgio Nardone, Elisa Balbi, Sillonner la mer à l’insu du ciel : leçons sur le changement thérapeutique et les logiques non ordinaires, Satas 2012

Giorgio Nardone, Chevaucher son tigre ou comment résoudre des problèmes compliqués avec des solutions simples, Seuil 2008

Pour découvrir tous mes articles autour du Jeu de Go

https://bridge-the-gap-coaching.com/categorie/la-boite-a-outil-du-coach-systemique/strategie-jeu-de-go

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