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Palo Alto, relations éducatives et management : regards croisés

Mis à jour le : 24 août 2023

L’Ecole de Palo Alto est d’une plasticité incroyable. Cette approche de résolution de problèmes relationnels s’adapte à de nombreux contextes : familial, scolaire, professionnel… Les contextes changent, les outils de Palo Alto s’adaptent et des parallèles féconds (ré)apparaissent.

Comme l’entreprise, l’école est un monde avec ses codes, ses règles, ses contraintes, ses hiérarchies formelle et informelle. Ce qui se passe à l’intérieur est un mystère inquiétant pour celles et ceux qui y sont extérieurs, et donne lieu à des fantasmes plus ou moins réalistes (mais toujours très effrayants). L’école comme l’entreprise sont des terrains de jeux de pouvoir. 

Dernier parallèle, qui a servi de déclencheur à cet article : à l’école comme en entreprise, le harcèlement est un fléau. Des 2 côtés, on trouve des harceleurs qui contournent les règles pour faire souffrir sans risquer de sanction. Mais aussi des victimes qui souffrent. Et enfin, des personnels, CPE d’un côté, DRH de l’autre, qui font leur possible avec les moyens du bord. 

Sandra Baudin a publié en avril 2023 Relations éducatives selon l’approche de Palo Alto: Les tribulations d’une CPE en collège. J’ai pensé que son expérience de CPE pourrait aider mes clients à mieux combattre le harcèlement en entreprise Car, comme me le disait Emmanuelle Piquet ici même, « harcèlement scolaire ou au travail, même combat ! ».

Que vous soyez manager, parent ou DRH, je prends le pari que ce livre fera écho. Prêt·e pour un détour par la cour du collège pour mieux aborder vos difficultés d’adulte ?

Comment te présenter, Sandra ?

J’ai 45 ans, un mari et deux grands enfants de 20 et 18 ans. On habite Limoges après avoir bougé partout en France : la région parisienne, Toulon, Lyon, puis retour dans le Limousin en 2019. Cette rentrée est ma 2èmerentrée comme psychopraticienne indépendante.

Je t’ai connue grâce à un blog La p’tite cuisine de la CPE : comment es-tu arrivée dans l’Éducation Nationale ?

Ma sœur et moi avons toutes les deux fait carrière dans l’éducation Nationale, elle comme psychologue scolaire, moi comme CPE. Pour ma mère, « la fonction publique, c’est la sécurité de l’emploi à vie. C’est aussi le métier rêvé pour concilier une vie professionnelle avec ta vie de maman ». Tu vois les injonctions !

J’ai donc commencé à étudier pour devenir prof, mais rapidement, j’ai douté de ma capacité à enseigner dans cet univers académique. Il faut dire que je n’avais jamais été une élève très « scolaire ». En parallèle, j’ai travaillé comme surveillante et là, j’ai découvert le métier de CPE, qui convenait mieux à mon goût pour les autres, le lien, les relations.

Au final, ni ma sœur ni moi ne nous sommes épanouies dans l’institution l’Éducation Nationale : nous avons demandé notre rupture conventionnelle la même année. Je suis alors devenue psychopraticienne indépendante.

Comment as-tu découvert Palo Alto ?

Complètement par hasard, en 2016. Je n’avais jamais entendu parler de cette approche, ni en formation initiale ni en formation continue, mais depuis des années, je cherchais des outils pour apaiser les souffrances des enfants. J’avais trouvé des trucs en Scandinavie, au Canada, j’avais fait acheter des outils à mes établissements pour expérimenter… 

Puis un jour, en fouillant sur Internet, je suis tombée sur le TedX d’Emmanuelle Piquet Mieux armer nos enfants contre le harcèlement scolaireC’était génial. Je buvais ses paroles ! Elle mettait enfin des mots sur ce que je vivais ! J’ai immédiatement lu Faites votre 180 degrés, Te laisse pas faire, Comment ne pas être un prof idéal… Je ne sais plus dans quel ordre, j’ai tout dévoré !

Comment en es-tu venue à appliquer Palo Alto à l’école ?

J’ai envoyé ma candidature au DU « Traiter les souffrances scolaires » de l’université de Dijon, animé par Emmanuelle Piquet et son équipe. En parallèle, j’ai fait le parcours fondamental de formation chez À 180 degrés Chagrin Scolaire. 

Ça m’a pris plusieurs années avant d’oser faire des expériences « Palo Alto » au collège. Cette approche prenait la vision du monde de l’Éducation Nationale à rebrousse-poil. Je ne voulais pas risquer d’ajouter des souffrances à celles que j’essayais de résoudre au quotidien. 

Mais en fait, quand j’ai commencé à pratiquer avec les élèves, je me suis rendu compte que ça marchait. Et drôlement bien !

Comment pourrais-tu décrire l’effet de l’approche de Palo Alto sur le harcèlement scolaire ?

Contrairement à toutes les autres, cette approche travaille avec la victime. L’accompagnement consiste à lui apprendre à se défendre, en changeant de posture. Parce que dans toutes les situations de maltraitance, la posture de la victime rend possible le harcèlement. Et ça, pour beaucoup de monde, c’est hyper violent à entendre. Mais comme le dit Karin Viard dans une vidéo sur son expérience du harcèlement de rue à Paris, le jour où tu changes de posture, les harceleurs sentent que ça ne va plus le faire. Souvent, il n’y a même plus besoin de décocher une pique. Le fait même de savoir que tu n’es pas obligée de te laisser faire et que tu peux rétorquer suffit.

Apprendre aux victimes à se défendre,
ça leur donne confiance en elles 
et ça fait changer la peur de camp.

Comment ton approche systémique et stratégique du harcèlement a-t-elle été reçue au collège ?

Les premiers temps, j’ai bénéficié du soutien de mes chefs d’établissement. Mes méthodes de lutte contre le harcèlement produisaient des résultats et ça convenait à tout le monde : aux élèves qui souffraient moins, à l’établissement qui fonctionnait bien, aux parents qui flippaient moins… C’est quand je suis allée frapper à la porte du Rectorat que ça s’est gâté. Le rejet de mes propositions de contribution à la lutte contre le harcèlement a été sans appel. 

Pourquoi un tel rejet de l’approche de Palo Alto à l’École ?

Les arguments, implicites ou explicites étaient de plusieurs ordres : 

L’argent (ou plutôt, la gestion des priorités budgétaires)

Cette approche nécessite une formation pointue des adultes accompagnants. Cela demanderait de réallouer des budgets conséquents. 

La « victimisation des victimes »

L’approche défendue par l’Éducation Nationale et les fédérations de parents d’élèves agit sur tous les acteurs, avec pour but ultime de punir les harceleurs. Mais cette approche exclut les victimes. Les victimes sont victimes : considérer que ce sont à elles d’apprendre à se défendre est inaudible pour beaucoup de gens. 

La peur des dérives sectaires dans un domaine où il ne faut pas prendre le risque de nuire

L’école de Palo Alto n’étant pas ou peu représentée dans les cursus universitaires, la peur de faire allégeance à une chapelle sectaire est très forte. Cette peur est légitime, mais elle ne résiste pas à l’épreuve des faits. 

L’uniformité « républicaine » des pratiques 

L’Éducation Nationale a une approche très centralisée, il faut la même approche partout. Or, même si j’utilise Palo Alto à plein temps, je ne considère pas pour autant que c’est une baguette magique universelle. Pour résoudre des problèmes complexes, on a besoin de souplesse et de variété ! Qui est le plus sectaire, dans l’histoire ?

Donc tu as quitté l’Éducation Nationale…

Cette rupture s’est faite avec beaucoup de tristesse, de renoncements, de peurs aussi : quitter l’emploi à vie avec un salaire versé tous les mois pour la vie d’indépendante, c’était pas rien, surtout quand tu connais mes injonctions familiales ! Mais ma frustration envers l’institution était trop forte. J’étais devenue le poil à gratter d’un système qui voyait mes solutions comme des problèmes, nos visions du monde n’étaient plus conciliables. Il fallait que je parte. Le livre a été ma manière de laisser une trace de ce que j’y ai appris et réalisé.

Dans ton livre, tu pars de situations vécues pour remonter à la théorie de l’Ecole de Palo Alto…

Parce que c’est comme ça que j’ai appris ! J’ai commencé par agir à l’instinct au collège, puis en me formant, j’ai progressivement assis mes intuitions sur des principes théoriques. Je me suis mise à écrire des comptes-rendus de mes interventions, pour documenter ma démarche. Ça a bouleversé ma vision du monde ! Et je peux te dire que ça n’a pas toujours été évident.

Peux-tu citer des exemples de concepts de Palo Alto qui ont bousculé ta vision du monde ?

Interactionnel

Je concevais facilement les relations externes, avec les autres, avec le monde, mais j’ai mis du temps à comprendre qu’on était également en interaction avec soi-même, dans son monde interne, avec les choses qu’on se dit, qu’on ressent, et qui nous poussent à nous comporter de telle ou telle manière. De mon point de vue, travailler là-dessus plutôt que sur des diagnostics intrapsychiques est beaucoup plus apaisant et respectueux des personnes qui souffrent.

Le problème, c’est la solution” Paul Watzlawick

Là aussi, j’ai dû tourner ça dans ma tête des milliers de fois, je ne comprenais pas ce concept de tentatives de régulation, ce « toujours plus de la même chose » qui aggrave les problèmes. Intégrer cette prémisse épistémologique ultra puissante, c’est concevoir qu’on a le pouvoir de stopper le cercle vicieux en faisant différemment, sans devoir devenir quelqu’un d’autre, c’est génial !

On a le pouvoir de stopper le cercle vicieux en faisant différemment, sans devoir devenir quelqu’un d’autre. C’est génial !

Tu parles beaucoup des souffrances des enfants, moins de celles des adultes

J’en parle dans la première partie du livre. Au collège, je crois que la difficulté principale pour les adultes, c’est la relation d’autorité. La relation avec les enfants est vue a priori comme quelque chose de potentiellement dangereux. Il y a le risque de se faire bordéliser, de mettre en danger les élèves, l’injonction du contrôle est très forte. Les réunions de rentrée sont bien souvent de gigantesques prophéties autoréalisatrices ou chacun anticipe déjà, parfois la boule au ventre, le climat de ses classes, le comportement des élèves… 

Or, l’injonction à l’autorité pose parfois des problèmes qui font beaucoup souffrir les adultes. Devoir imposer des choses aux enfants alors qu’on trouve que ce serait mieux de les laisser choisir ; avoir peur de perdre la face devant un enfant qui chahute en rompant avec la verticalité qui soumet… 

Et pour les parents, c’est aussi très difficile, surtout à l’ère des réseaux sociaux! Ils sont pris entre deux injonctions qui se croisent. D’un côté, l’injonction à l’autorité – c’est le discours sur les parents qui devraient mieux tenir leurs émeutiers d’ados. De l’autre, l’injonction à l’éducation bienveillante, à la communication non-violente, etc.

Comment tu interviens, dans ces situations ?

Une partie importante de mon travail consiste à déculpabiliser les parents en les rejoignant dans leur vision du monde (car même si ça ne donne pas toujours les résultats escomptés, la plupart des parents agissent avec tout leur amour de parents). Par ailleurs, là où j’ai pu le faire – pas partout, malheureusement – j’ai aidé les enseignants en difficulté à réinvestir la relation, plutôt que d’intervenir moi-même. En général, quand ça se passe mal pour un enseignant, dans une classe ou avec un élève, que ce qu’il tente ne fonctionne plus, il demande l’intervention d’un tiers, en l’occurrence, celle de la « CPE redresseuse de torts ». Le problème, c’est que quand c’est la CPE qui intervient pour rétablir l’ordre dans une salle de classe, les enfants ne s’y trompent pas : ils perçoivent parfaitement le message implicite : « ce prof est impuissant ». Et ils ne le ratent pas à la prochaine occasion. Je préférais, quand c’était possible, me placer à côté de mon collègue, plutôt qu’entre lui et la classe, l’élève.

J’entrevois des tas de parallèles avec le monde de l’entreprise et les managers…

En même temps, je me demande comment, dans certaines entreprises, aller « contre-chahuter » quelqu’un qui dépasse les bornes…

Il est toujours possible de faire prendre conscience aux managers qui se laissent déborder, voire se font harceler par leurs collaborateurs qu’ils ont le choix. “Vous pouvez continuer comme vous avez fait jusqu’à présent, pour les mêmes résultats. Vous pouvez aussi changer de posture, pour que l’inconfort change de camp : une remarque en public, une pique…” Parfois, comme je te disais tout à l’heure, le seul fait de savoir qu’on a le choix suffit à faire changer de posture.

Ce que je retiens de cette conversation, en tant que praticienne de l’approche de Palo Alto en entreprise

Bien que plus ouvertes que l’Éducation Nationale à l’approche de Palo Alto, beaucoup d’entreprises ne facilitent pas les interventions systémiques dans la pratique : focalisation sur l’intrapsychique avec des tests de personnalité, culpabilisation des managers, modes managériales, demandes de coaching focalisées sur les personnes qui « posent » problème… La difficulté des coachs systémiques, c’est de trouver le bon équilibre entre d’un côté devenir une tentative de régulation du « système client » et de l’autre, risquer de passer pour un poil à gratter à évacuer.

Le harcèlement, descendant, latéral ou ascendant est une réalité rarement soluble dans l’arsenal juridique des DRH. Comment positionner les interventions pour aider les victimes à se défendre, tout en restant dans les codes relationnels de l’entreprise ?

L’approche de Palo Alto est fondamentalement contextuelle. J’invite tous les coachs professionnels à exiger de leurs enseignants et de leurs superviseurs qu’eux et elles-mêmes interviennent en entreprise. Parce que quand je vois la puissance de la contextualisation de l’approche de Palo Alto à l’école par des professionnelles de l’éducation comme Sandra, je me dis que c’est dommage de passer à côté dans le monde très codifié de l’entreprise.

Pour en découvrir davantage sur Sandra et l’école de Palo Alto

Les autres émoi, le site de Sandra

La Quotidienne de Sqool TV (14/02/2023) – L’approche Palo Alto de Sandra Baudin pour gérer ses relations

La relation éducative selon l’approche de Palo Alto. Chromosome B, le podcast des éditions Enrick B

À 180 degrés, le site de l’école et du réseau de psychopraticiens où s’est formée Sandra

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