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Cancer du sein et carrière : sortir du dilemme “cache ta maladie ou cache-toi”

Mis à jour le : 19 octobre 2022

Une femme sur neuf sera confrontée au cancer du sein au moins une fois dans sa vie. 20% d’entre elles rechuteront. Cette maladie ne se contente pas de bouleverser la vie intime et familiale de dizaine de milliers de femmes chaque année. Elle représente une occasion de plus de discriminer les femmes au travail.

Je profite d’octobre rose pour publier ces réflexions qui m’ont été inspirés par 3 dirigeantes. Elles ont toutes combattu le cancer du sein et dû se battre pour retrouver leur place au travail. Évidemment, je ne les nommerai pas. Mais j’espère qu’elles se reconnaîtront et que leur témoignage aidera d’autres personnes à traverser des situations similaires. Ici, elles s’appelleront Laure, Marie et Lucile.

Au début, c’est moi qui choisis comment gérer mon cancer du sein

Entre le diagnostic et l’opération, les délais sont (étaient ?) assez courts. Juste assez pour encaisser le choc, et parer au plus pressé. Organiser son absence au bureau, à la maison. Le dire aux enfants ou pas, comment protéger, comment rassurer. Les choix familiaux ont varié de l’une à l’autre. Pour autant, toutes ont prudemment tu la raison de leur arrêt à leur employeur.

Après l’opération viennent les séances de radiothérapie. Marie a choisi de rester en arrêt d’autant qu’elle était en congé maternité. Laure et Lucile ont préféré revenir immédiatement au bureau pour ne pas laisser la maladie envahir leur vie. Toutes m’ont dit : “jusque-là, j’avais le sentiment de pouvoir choisir ce qui était bon pour moi“.

C’est de retour au travail après mon cancer que tout se gâte

Les mêmes anecdotes reviennent avec une constance étonnante dans les témoignages de ces trois femmes. Bien sûr, je suis consciente que je n’ai pas sous la main un échantillon statistiquement représentatif. Cela dit, je suis curieuse de savoir ce qui résonne chez vous qui me lisez.

L’effroi des collègues face au cancer du sein

Dans les regards apitoyés, les petites remarques, les sous-entendus, les silences, Laure et Maria ont entendu « elle apporte la mort ». Il y a en permanence un éléphant apeuré dans la pièce. D’autant que celles qui se sont risquées au mi-temps thérapeutique ont bien compris que le mi-temps qui compte, c’est celui où elles se reposent.

Ça pose un tas de problème d’organisation. Tout le monde pense bien faire en disant « laisse, je peux faire sans toi ». Ils ne se rendent pas compte du stress qu’ils créent en disant ça. Au lieu d’écouter mon corps qui disait « vas-y mollo », j’ai mis les bouchées doubles pour retrouver ma place dans l’organisation.

Laure

La bienveillance paternaliste

Quand le retour n’est pas accueilli par une dispense immédiate d’activité sur l’air de « ton poste a évolué, tu n’es plus la bonne personne pour ce poste », la mise à l’écart est quasi-inévitable. « On ne va pas te mettre là-dessus, c’est trop fatiguant pour toi ».

Au début ça allait parce que j’étais vraiment fatiguée, mais quand je me suis sentie mieux et que j’ai voulu reprendre ma vie d’avant, j’ai compris que je restais malade aux yeux de mes collègues du CODIR et qu’ils se trouvaient bien sympas de me chouchouter comme ça. Donc non seulement j’étais mise à l’écart, mais en plus, j’étais priée de ne pas jouer les ingrates en montrant ma frustration !

Marie

La malveillance plus ou moins assumée

La mise à l’écart n’est pas toujours bienveillante, loin s’en faut. Laure se souvient des bagarres qu’elle a dû mener pour conserver son poste. Ses concurrents n’avaient de cesse de crier sur tous les toits qu’ils pouvaient s’investir à 100%, eux. Y compris quand elle avait repris son poste à plein régime.

La peur de perdre mon boulot et la culpabilité de ne pas être à la hauteur pour mes équipes m’a fait longtemps hésiter avant de parler de mon cancer à qui que ce soit. Je venais de prendre un poste ultra convoité, j’avais mes preuves à faire et je ne savais pas si je pouvais avoir confiance en ma DRH, que je ne connaissais pas. C’était hyper casse-gueule.

Lucile

3 femmes, 3 contextes, 3 stratégies

Cacher son cancer du sein pour garder sa place

Le cancer est une maladie chronique, Laure en sait quelque chose. À la deuxième rechute, elle se sent plus solide pour dire qu’elle doit s’absenter pour ses séances de rayons. Mais le premier coup, elle a tout gardé pour elle… Au risque de s’épuiser totalement – ce qui n’a pas manqué d’arriver. Et au risque de s’attirer, après coup, des remarques du type « si elle était si malade, elle se serait arrêtée ». Ou bien « tu avais le droit de t’arrêter, tu l’as refusé. Alors maintenant, ne viens pas te plaindre que tu es fatiguée ».

Maintenant, sans en faire une publicité excessive, elle prévient ses équipes. « Je vais être un peu fatiguée pendant les prochaines semaines mais je reste avec vous. Je vous préviendrai si j’ai besoin de repos ». Mais elle sait trop que l’organisation a besoin de continuer à avancer, avec ou sans elle, pour laisser son siège vacant.

Protéger son employabilité à défaut de pouvoir retrouver sa vie d’avant

Marie a été écartée de son poste dès son retour et nommée à un poste dont elle a vite fait le tour. Son entreprise a fait le choix de ne pas écouter son besoin de retrouver sa vie d’avant. Elle a donc appelé son avocat pour l’aider à négocier un intitulé de poste et une formation longue. Cela lui a donné le temps de se reconstruire, faire le point sur ses ambitions et retourner dans de bonnes conditions sur le marché du travail. 

5 ans après, son cancer reste un événement important dans son parcours professionnel et elle manie cette information avec précautions. Dans la plupart des secteurs, c’est rédhibitoire. Dans le domaine de la santé, en revanche, ça peut être un atout stratégique. Elle est plus que jamais convaincue qu’il faut tenter par tous les moyens d’avoir avec son employeur une discussion ouverte sur les besoins respectifs, pour ne pas se laisser enfermer dans les peurs et les choix des autres. Ce qui est le plus difficile selon elle, c’est d’avoir cette discussion à un moment où tout concourt à nous diminuer. Pas un instant elle ne regrette de s’être fait aider, légalement et psychologiquement.

Travailler à distance et projeter de l’optimisme

Prenant un poste à dimension internationale au moment de son opération, Lucile a d’abord pensé qu’elle allait faire comme si de rien n’était. Elle était une nouvelle leader priée d’être inspirante, pas la rabat-joie de service. Sauf que pendant les semaines de radiothérapie, il n’était pas question de voyager, ce que n’importe qui à sa place aurait fait de manière intensive pour rencontrer les équipes de chaque pays. Il fallait bien expliquer cela à ses collaborateurs les plus proches, ce qui lui faisait perdre tout espoir de garder sa maladie confidentielle. Par ailleurs, à force de vouloir passer pour plus forte qu’elle n’était à ce moment-là, elle prenait le risque de décevoir les attentes de ses nouvelles équipes. 

Être forte autrement

A l’issue de quelques séances de coaching, Lucile a fini par recadrer son besoin de contrôler sa communication et d’être forte. Elle a pris son courage à deux mains pour annoncer, en visioconférence à l’ensemble de ses équipes, qu’elle était en convalescence d’un cancer du sein… Et que pour être à fond auprès d’elles le plus vite possible, elle allait devoir commencer doucement. Elle a organisé des entretiens en vidéo, des visites vidéo des sites, elle a responsabilisé à fond ses n-1 et les responsables de pays qui n’auraient pas pu rêver mieux de la part de leur nouvelle patronne… 

Profiter du potentiel de la situation

Le COVID19 a envoyé tout le monde en télétravail au moment où Lucile aurait pu recommencer à prendre l’avion. Elle a pris cela comme une opportunité. Outre le fait que son leadership à distance fonctionnait bien, elle était encore fatiguée. Elle s’est très volontiers passée de déplacements pendant trois mois supplémentaires. Travailler à distance lui a permis de mieux gérer son énergie et de toujours projeter de l’enthousiasme et de la confiance à ses équipes.

Ce que ces témoignages m’ont appris sur mon métier de coach

La maladie modifie notre relation à nous-même, aux autres et au monde qui nous entoure dans des proportions qui sont uniques à chacune.

Il n’y a pas de solution idéale, et encore moins unique. Nos besoins individuels ne sont pas les mêmes et n’obéissent pas à la même temporalité. De même, nos environnements familiaux sont plus ou moins soutenants et / ou contraignants. Enfin, nos environnements professionnels sont plus ou moins réceptifs. Et même quand ils le sont, les démarches à entreprendre pour retrouver sa place demandent une grande intelligence des situations. En gros, quand une personne qui vient de surmonter un cancer du sein souhaite recommencer à vivre normalement, elle doit faire preuve d’une empathie décuplée envers elle-même et son entourage.

Le rôle d’un accompagnement personnalisé, c’est justement de faciliter ce travail d’empathie.

  • Sentir ce qu’on peut se demander à soi ou au contraire quand il faut lever le pied.
  • Identifier ce qu’on peut dire ou demander aux autres, quand et comment.
  • Apprendre à se protéger des situations / relations qui freinent ou bloquent la reconstruction.

Si cet article sur le retour au travail après un cancer du sein vous a intéressé, je vous invite à lire aussi Cancer et travail : comment retisser le lien ?

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