La « grande démission » est sur toutes les lèvres, dans toutes les bonnes études et autres revues de management.
Tous les jours, j’entends des client.e.s s’affoler de la pénurie de main d’œuvre qui commence à se faire sentir dans l’hôtellerie-restauration, les professions de santé, le commerce, le bâtiment, l’informatique, le management, j’en passe.
Tous les jours j’entends des DRH et des managers se demander comment ils et elles vont pouvoir répondre aux attentes de plus en plus pressantes de leurs salariés en matière de salaire et de conditions de travail.
Et tous les jours, je lis et j’entends des salariés et des candidats de tous horizons, de tous âges et de tous niveaux se désoler, voire se révolter de la manière dont ils sont traités par leurs employeurs actuels ou potentiels.
En bonne élève de Palo Alto et lectrice de Paul Watzlawick d’abord, d’Arnaud Tonnelé ensuite, je me suis demandé : « comment aggraver ? »
Recueil de bonnes pratiques de gens qui se plaignent de la grande démission.
Histoires vraies, prénoms inventés
Youssef n’a pas le bon CV.
Ou pas le bon prénom. Peut-être pas la bonne adresse. Ou bien un peu de tout ça à la fois. Malgré sa motivation et sa persévérance, ses candidatures ne passent jamais le cap des algorithmes. Le seul recruteur qui l’a reçu en entretien, c’est le dealer de son quartier qui cherche des chouf.
Laure a appris, 24 heures avant le démarrage de son alternance, que cette dernière était annulée.
« Pour cause de changement dans nos processus de recrutement ». Bien entendu, Laure avait fondé tous ses espoirs sur ce contrat prévu de longue date et avait déjà emménagé dans un appartement qui lui coûte fort cher. Pas un mot d’excuse ni un euro de dédommagement.
Bertrand vient de prendre la direction générale d’une entreprise en redressement.
La formation est un levier de performance et de fidélisation de ses salariés, à tous les niveaux. Il les y envoie manu militari sans leur demander leur avis, et, surtout, sans leur donner la possibilité de se dégager, ne serait-ce que quelques heures, de leurs tâches opérationnelles. Taux d’absentéisme à la formation : 80%
Géraldine a été sommée, au début de la crise du COVID, de virer à tour de bras.
… des collaborateurs que l’entreprise ne pouvait plus payer sous peine de fâcher les actionnaires. 18 mois plus tard, la reprise est là, les carnets de commande sont pleins, et les bureaux sont vides. Il manque des centaines de collaborateurs pour honorer ces commandes. Je mesure d’ici la joie des actionnaires.
L’associé de Philippe vient de prendre sa retraite
Philippe peine à lui trouver un remplaçant. « Pourquoi pas une femme ? » lui demande naïvement un client. « Parce que pour remplacer un homme, il faut 2 à 3 femmes », lui répond placidement Philippe. Pendant ce temps, Madame Philippe passe son samedi seule à la maison avec ses trois enfants. Quand Philippe rentrera, il ira jouer au foot avec ses fils pendant que Madame préparera le dîner.
Jane n’a jamais aussi bien “performé” qu’en télétravail.
Il faut dire, qu’elle soit au bureau ou sur son canapé, elle passe l’essentiel de son temps de travail en téléconférence avec des équipes situées à l’étranger, ce qui l’amène à travailler en horaires largement décalés. La semaine même où le gouvernement a autorisé les entreprises à rapatrier leurs salariés au bureau, Jane a été sommée d’y retourner. Depuis, les équipes situées aux États-Unis attendent 24 heures des réponses qu’elles recevaient auparavant dans l’heure.
Ilan a été recruté pour développer le e-commerce dans une entreprise très traditionnelle.
Il est futé, créatif et comprend vite ce qu’il peut apporter à cette vénérable maison. Manque de bol, le moment préféré du PDG pour réunir son CODIR pour parler de sujets stratégiques, c’est le vendredi soir, au moment où Ilan rentre chez lui pour se préparer au Shabbat. « S’il faut accommoder toutes les demandes communautaires… » s’exaspère son PDG en partance pour un week-end de la Toussaint bien mérité… Ilan a démissionné à la fin de sa période d’essai.
Et pendant ce temps, la grande démission continue…
Les services de recrutement s’indignent de se faire ghoster au septième entretien d’embauche.
Des théories chatoyantes sur les générations Y, Z ou Alpha fleurissent dans les programmes de formation au management pour tenter de comprendre ces jeunes qui ne s’engagent plus.
Les grands groupes s’inquiètent de ce que les « élites » formées dans les grandes écoles ne veulent plus de la vie qu’ils leur promettent.
Cà et là, de grandes et belles initiatives RSE fleurissent sur les réseaux sociaux. Tandis que dans les couloirs, les petits chefs continuent à faire la loi par la peur et que les individus n’osent pas se révolter ouvertement.
La crainte de nouveaux mouvements sociaux commence à se faire entendre un peu partout en France. Pendant ce temps, sur les marchés où la protection des travailleurs est plus faible, les salariés votent déjà avec leurs pieds.
Comment aggraver le phénomène de la grande démission ?
Les injonctions au respect, à la bienveillance, à la confiance, à la diversité et à l’inclusion ne marchent pas.
L’explication rationnelle ne marche pas.
La morale ne marche pas.
Personne ne peut obliger les employeurs à traiter correctement leurs salariés alors que depuis 30 ans, le rapport de force a été tellement en leur faveur qu’ils ont pris l’habitude de leur faire prendre des vessies pour des lanternes et des babyfoots pour des acquis sociaux.
Ne changeons rien ! La grande démission finira bien par se tarir !
Dansons sur le pont du Titanic.
Continuons à penser que l’automatisation et l’intelligence artificielle peuvent remplacer le dialogue.
Ne cessons surtout pas de penser que les êtres humains sont interchangeables et que la standardisation des tâches les rend plus remplaçables que jamais.
Continuons à dire une chose aux médias et le contraire à nos salariés.
Laissons faire et regardons les entreprises se dépeupler comme nous regardons la planète se réchauffer au volant de nos SUV.
Attendons de nos enfants qu’en plus de sauver la planète, ils réinventent aussi le travail. Le tout, bien entendu, sans faire perdre la face à ceux qui les emmènent dans le mur.
D’aucuns se consoleront peut-être de savoir qu’ils seront les plus riches du cimetière.
Ma proposition
Une modélisation simplifiée du changement dit que le changement ne devient possible que quand :
l’insatisfaction x la vision x les premiers pas > les résistances au changement.
Je regarde avec intérêt monter le niveau d’insatisfaction et suis prête à travailler avec toutes celles et ceux qui sont prêt.e.s à se donner les moyens de changer de cap avant de percuter l’iceberg.
Je n’ai pas de solution toute faite. Seulement, je sais que le premier pas indispensable, c’est de se mettre à écouter les équipes. Leur donner un espace pour dire ce qu’ils ont à dire, et surtout en faire quelque chose.
Si cet article vous a intéressé, je vous invite à visiter la rubrique Tendances Leadership de mon blog.