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Sans expérience émotionnelle, point de changement

Mis à jour le : 20 avril 2022

« Une expérience émotionnelle ? Nos dirigeants veulent du sérieux ! » J’entends encore souvent cette objection, et elle est légitime. Nous avons tous vécu des séminaires dans lesquels les activités conviviales et ludiques prenaient une part prépondérante sans lien avec les impératifs professionnels de l’équipe. Au point que le terme de « team building » est devenu synonyme de moment de convivialité au nom de l’harmonie des relations. Sauf que nos émotions ne se résument pas au plaisir, et les enjeux d’une équipe performante ne se limitent pas à l’harmonie des relations.

Cette anecdote n'est qu'une illustration des réticences qu'il y a, encore aujourd'hui, à aborder les aspects émotionnels en entreprise. Les manifestations émotionnelles, si elles sont tolérées, le sont dans un cadre strict. Il est de bon ton d'exprimer des émotions positives, et si possible pas d'émotions trop fortes. Il y a des moments pour les verbaliser et les réguler, et pas n'importe comment. Bref, les émotions sont tolérées quand on ne peut pas faire autrement.

Or, les émotions jouent un rôle dans l'apparition, l'entretien de nos difficultés. Ce qu'on sait moins, c'est qu'elles jouent un rôle clé dans le processus de changement.

À travers quelques exemples vécus, comme toujours, je vous propose de découvrir pourquoi et comment les émotions interviennent dans l'apparition et la résolution de nos difficultés.

Pourquoi prendre en compte les émotions en coaching ?

Une prise de poste embourbée dans des colères réciproques

Bertrand a raté son entrée en fonction auprès de son équipe. Il faut reconnaître que « Le Siège », qui a multiplié les contraintes dans son agenda, l'y a bien aidé. Depuis les premiers jours, son équipe lui reproche d’être lointain et de ne pas les considérer. De son côté, Bertrand considère qu’ils se comportent comme des enfants gâtés. Bref, ça part mal. La pression monte, au point que le rejet réciproque devient perceptible par les équipes et par le siège.

Qu’est-ce qui bloque ? La colère réciproque accumulée.

Qu’est-ce qui peut débloquer la situation ? La peur d’un conflit qui va tous les pénaliser individuellement s’il éclate.

Une évolution stratégique retardée par des émotions négatives

Maylis remue ciel et terre depuis des mois pour faire évoluer la stratégie commerciale de son entreprise. Tout le monde au sein du Codir partage son analyse mais rien à faire, chacun campe dans son pré carré.  

Qu’est-ce qui bloque ? Des jalousies, de l'anxiété, des peurs au sein du Codir, aggravées par de la culpabilité. Dans ce monde d'ingénieurs en effet, les émotions, positives ou négatives, n'ont pas leur place. Ce déni émotionnel les empêche de s'écouter et de faire des compromis.

Qu’est-ce qui peut débloquer, alors ? La peur de perdre plus en continuant à jouer solo qu’en jouant collectif.

Dans les deux cas, ce qui bloque le changement, ce sont des émotions.
Dans les deux cas, ce qui peut débloquer le changement, ce sont également des émotions.

La plupart de nos apprentissages comportementaux se sont construits par l'expérience émotionnelle.

Dans beaucoup de cas, nous avons inhibé les émotions liées à ces apprentissages. Au moment où nos comportements deviennent problématiques pour nous, ces émotions bloquent d’autant plus fort qu’elles sont enfouies. Une étape importante de l’approche de Palo Alto consiste à faire émerger ces émotions pénibles, et à leur faire une juste place. Afin qu’elles arrêtent de prendre toute la place, justement.

Après avoir canalisé les émotions bloquantes, l’apprentissage de nouveaux comportements n’est pas encore acquis. Récemment, des chercheurs ont mis à jour le rôle des émotions dans l’apprentissage cognitif et j'y reviendrai à la fin de cet article.

L’explication rationnelle ne suffit pas nous faire changer de comportement.

Nous avons tous fait l’expérience du caractère contreproductif des conseils bien intentionnés.

Vous savez, les phrases pseudo empathiques comme « il faut te calmer », « n’aie pas peur » et autre « faut pas pleurer ». Non seulement elles n’aident pas, mais elles aggravent souvent les émotions bloquantes en les rendant socialement inavouables. De la même manière, dire « tu te trompes » est rarement une bonne méthode pour amener quelqu’un à se remettre en cause. Mon expérience de consultante m’a également appris que les outils ne servent qu'aux personnes déjà prêtes à les utiliser. Dans tous les projets que j’ai menés, les meilleurs participants étaient ceux qui avaient déjà surmonté leur anxiété face au changement. Ils se sentaient prêts à accueillir la nouveauté, voire à prendre le risque de changer.

En restant dans le registre rationnel, peux continuer éternellement à…

Me réfugier derrière mes collègues extravertis en réunion, même quand JE SAIS que c’est préjudiciable à ma carrière, 

Parler d’un épisode douloureux de la vie de l’équipe, alors que JE SAIS que personne n’y peut plus rien et que ça plombe le moral collectif,

Organiser des réunions « de convergence » alors que JE SAIS qu’elles ne servent qu’à étaler les divergences.

Exhorter ma fille à me parler alors que JE SAIS que cela va la faire fuir encore davantage.

Changer de comportement n'est pas une question de compréhension intellectuelle. C'est une question d'expérience émotionnelle,
puis de pratique. 

L’expérience émotionnelle sert à canaliser nos émotions, afin de nous faire faire des apprentissages

Le cerveau humain apprend par l’expérience et tend à faire toujours plus de la même chose, y compris quand ça ne marche pas. Sortir du cadre demande beaucoup de méthode et c’est comme cela que je décris mon rôle de coach. Je crée avec eux les conditions pour les aider à sortir d’un cadre qui les limite, et en trouver un autre qui sert leurs ambitions.

L’éventail d’expériences émotionnelles proposées par l’approche de Palo Alto est déjà très riche et très documenté. Il permet surtout aux personnes de travailler entre les séances de coaching ou de thérapie. Ce faisant, ils recadrent peu à peu leurs émotions, leurs croyances, et d’essayer de nouveaux comportements. Je l’ai enrichi d’expériences inspirées de la Gestalt, à faire en séance, individuellement ou en groupe.

L'expérience émotionnelle avec Bridge the Gap Coaching, par Guillaume Lagane
La facilitation graphique de Guillaume Lagane fait partie des expériences émotionnelles que j'aime offrir à mes clients pour amplifier l'impact émotionnel de certains moments clés de leur vie d'équipe.

Comment les expériences émotionnelles peuvent influer sur un processus de changement.

Identifier « ce qui coince », des expériences émotionnelles exploratoires.

Au début d’un accompagnement, il est souvent nécessaire d’identifier l’émotion ou la croyance bloquante. En effet, la demande est claire, ce que fait la personne pour s’en sortir (et qui ne marche pas) aussi… mais dans beaucoup de cas, l’émotion ou la croyance sous-jacente est inaccessible. Souvent parce qu’elle est tellement douloureuse à vivre, ou socialement inavouable, qu’elle a été enfouie. Peur, dégoût, tristesse, colère, rancune sont autant d’émotions que nous passons une énergie folle à dissimuler aux autres et à nous-mêmes.

Dans ces moments encore flous, souvent au début de la relation d’accompagnement où tout est à construire, ma règle de conduite est la suivante : explorer sans idée préconçue et être présente, au cas où les découvertes seraient difficiles à faire.

Pour créer des expériences émotionnelles exploratoires, le registre de la Gestalt est mon préféré.

En séance, relever un mot qui revient, un geste répétitif, une hésitation particulièrement longue, une sensation que je ressens dans mon propre corps en écoutant parler mes coachés… Faire résonner, répéter, amplifier ces micro moments d’expression verbale, para-verbale ou non verbale équivaut pour moi à donner de petits coups le long d’un mur pour découvrir où il va sonner creux et peut-être, abriter quelque chose de précieux. Ce travail est au moins autant physique que verbal. Faire l’expérience de repérer, dans son propre corps, ce qui réagit à telle ou telle pensée, est un apprentissage inestimable. Ceux qui l’ont fait sont beaucoup plus rapides à identifier les situations qui leur conviennent ou pas… et à ne pas se laisser piéger quand quelque chose à l’intérieur dit « non ».

En complément, le yoga est une expérience physiologique qui facilite le contact émotionnel avec soi-même.

Sans devenir des yogi expérimentés, nous avons tout intérêt à faire de notre corps l’allié de nos journées de travail.  Au démarrage d’une journée de travail, ou bien pendant une pause de quelques minutes, quelques exercices facilitent la détente corporelle et la concentration. Mieux savoir écouter son corps et ses sensations, c’est aussi mieux écouter ses émotions. Tous ceux que leur corps a lâché alors que leur mental leur intimait de contrôler encore leurs émotions vous diront que leur corps les avait prévenus. Ça va mieux quand on apprend à l’écouter. 

« Apaiser l’inflammation » avant de chercher des solutions, une expérience émotionnelle canalisante peut aider à gérer les débordements émotionnels.

Encore une analogie physiologique : on n’opère pas un abcès dentaire avant d’avoir calmé l’inflammation. Parfois, l’émotion est bien identifiable : choc traumatique, colère, tristesse, deuil… Mais l'intensité émotionnelle est tellement forte qu’elle prend toute la place et ne permet pas de trouver une solution. 

Ici, la panoplie des protocoles inspirés de l’école de Palo Alto est inépuisable pour qui sait sait la manier avec un peu de créativité.

La « lettre de colère », pour ne prendre qu'un exemple parmi beaucoup d'autres, est une expérience émotionnelle très efficace pour dégonfler une colère problématique. 

 A la fin d’une séance individuelle, je prescris à mes coachés d’écrire tous les matins à la personne objet de son courroux une « lettre de colère » sans filtre, comme ça vient. Ne pas la relire, la cacheter et me l’apporter la séance suivante.

Au démarrage d’une réunion que j’anticipe houleuse, la lettre de colère peut devenir une « purge » façon street art : je m’inspire souvent d’une œuvre de Nikki de Saint Phalle qui avait gribouillé, sur un mur, « tout ce qui me met en rage ». En soi, écrire et dessiner sur un mur (en prenant les dispositions nécessaires pour que le lieu ne soit pas abîmé, évidemment) ajoute une forme de transgression gestuelle intéressante au contenu de ce qui est exprimé, et canalise le trop plein émotionnel.

Mettre en forme un traumatisme,  un scénario redouté constituent des expériences émotionnelles fortes, individuellement ou en groupe, en séance ou chez soi.

Prendre le risque d’essayer de nouvelles manières de faire, des expériences émotionnelles orientées vers l'action.

Une fois les émotions et croyances bloquantes identifiées, éventuellement canalisées, une bonne partie du chemin est faite, mais on n’est pas encore arrivé. Comment faire autrement ? Parce que quand on connaît une manière de faire, même si elle ne marche pas, celle-là, au moins, on la connaît. 

L’expérience émotionnelle vise à rendre le « faire autrement » pratiquement possible.

En 2019, le chercheur Olivier Houdé a publié le résultat de ses recherches sur la construction et la reconstruction de nos biais cognitifs. Son postulat est sans appel : pour apprendre de nouveaux comportements, le passage par l'émotion est indispensable. Il a identifié trois états émotionnels propices au changement de comportement.

La curiosité

Quiconque a affronté le vertige des hauteurs sait de quoi je parle. Pendant longtemps, j’ai cru mourir de terreur à chaque fois que je me penchais d'un balcon. Alors les balades en montagne sur des sentiers escarpés... C'était émotionnellement impossible. Je faisais pourtant chaque été des efforts surhumains pour calmer mon vertige - sans grand succès il faut l'avouer. Un jour, j'avais laissé mon mari s'aventurer seul sur un passage que je trouvais trop raide. De là où il s'était perché, il m'a lancé « Quel dommage que tu aies le vertige, c’est si beau vu d’ici… ». J’avais déjà résolu de vaincre ce foutu vertige, mais cette fois-là, la curiosité m’a fait faire le pas décisif. Je n'éprouve toujours pas de sérénité face au vide : mais je me suis vue progresser et reprendre un peu de contrôle sur cette anxiété particulière.

Le doute

Quand je les ai fait jouer au go, des dirigeants qui ne savaient pas quoi faire d’autre que d’aller jouer sur les plates-bandes des concurrents (où lesdits concurrents étaient beaucoup plus crédibles), ont découvert en jouant que certaines stratégies étaient beaucoup plus payantes. Le doute ainsi créé dans leurs certitudes a créé une petite brèche, dans laquelle une idée stratégique plus efficace a pu se glisser.

Le regret anticipé

Dans un conflit, faire décrire ou jouer la fin d’une guerre qui se finirait mal est aussi un moyen d’activer le regret anticipé, puissant activateur de recherche de solutions plus constructives. Pour le même résultat, une bonne histoire peut suffire : je me souviens avoir fait la paix avec une personne à qui j’en voulais beaucoup après avoir écouté un reportage sur la vie des grands singes, pour lesquels faire la paix avant que le groupe se sépare est une règle sociale intangible. Au fond, toute expérience émotionnelle a pour but de nous aider à nous raconter une autre histoire.

Les expériences émotionnelles que je propose à mes clients peuvent prendre des formes extrêmement variées. Elles sont toujours co-construites avec eux, en fonction de leur contexte particulier, de leurs objectifs et de ce qu’ils sont prêts à tenter.

Si cet article sur le pourquoi et le comment de l'expérience émotionnelle vous a intéressé, je vous invite aussi à découvrir les expériences émotionnelles que je propose avec mes partenaires :

Yoga et coaching : construire des ponts et vivre mieux : une interview de ma partenaire Karine Dal Canton, qui crée des moments de régulation où la pression émotionnelle pourra être canalisée et évacuée par le corps.

L’impro coaching, pour développer les talents individuels et collectifs : une rencontre avec mon complice Soufiane Guerraoui. Le théâtre offre en effet des possibilités formidables pour exprimer nos pensées et émotions inavouables, avec la permission (et même la recommandation) d’en faire des tonnes.

Le business aura toujours besoin de joueurs d’Échecs, et de plus en plus de joueurs de Go. Un dialogue avec mon ami Fabrice Rosenstiehl, qui applique depuis longtemps la sagesse stratégique du Go à la conduite des affaires.

Confiance et coopération : apprendre par l’expérience avec le cheval. Un détour par la Camague pour rencontrer ma partenaire Florence Manaud, qui fait émerger de la confiance et des émotions positives de la relation avec les chevaux.

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