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Éthologie et leadership : ce que les singes m'ont appris sur l'exercice du pouvoir

Mis à jour le : 7 décembre 2022

La découverte des travaux de Frans de Waal et d'autres sur l’éthologie des grands singes m’ont amenée à m'intéresser aux parallèles entre éthologie et leadership.

Bien entendu, je n'ai pas la prétention d'apporter une contribution scientifique au sujet. En revanche, dans mon travail d'accompagnement des dirigeants, j'ai noté que l'éthologie pouvait constituer une source inépuisable de métaphores pour parler de leadership.... Et pour aborder l'épineuse question du pouvoir avec des dirigeants. Petit tour d'horizon amusé, illustré par des scènes de la vie politique française et internationale, plus ou moins récentes.

Un chimpanzé n’a pas besoin d’être le plus fort pour devenir leader : il a surtout besoin d’alliés.

Celui qui devient mâle alpha est celui qui sait prodiguer suffisamment de justice et d’empathie pour maintenir la paix dans le groupe et se ménager les soutiens nécessaires à son accession et son maintien au pouvoir. Cela passe par :

L'empathie

Elle se manifeste par des attitudes d’attention et de compassion : s’intéresser aux petits des femelles en période de conquête du pouvoir, consoler les victimes et les malheureux une fois au pouvoir.

Une photo de Jacques Chirac en campagne démontrant son empathie auprès des électrices. Un comportement observable également chez les chimpanzés qui doivent séduire le plus grand nombre pour diriger leur groupe
Jacques Chirac en campagne : rétrospective photo in La Montagne 29 novembre 2017

 

La plupart des mammifères ont une empathie émotionnelle, qui leur permet de ressentir les émotions de leur interlocuteur. Les chimpanzés et quelques autres animaux ont également une empathie cognitive, qui leur permet de comprendre ce que veut l’autre.

La réciprocité

Gare à celui qui ne sait pas remercier ceux qui l’ont fait chef par quelques cadeaux et privilèges : ceux-là n’hésiteront pas à se coaliser avec un concurrent plus généreux.

Patrick Devedjian, fidèle de la première heure à Nicolas Sarkozy, a été délaissé au profit de l'ouverture à gauche. Son amertume est palpable. Les études en matière d'éthologie montrent que les leaders ont intérêt à se montrer reconnaissants vis-à-vis de leurs soutiens, faute de quoi ils les perdront.
"L'«ouverture» de Sarkozy sème la discorde à gauche... et à droite" titre Libération le 15 mai 2007. Patrick Devedjian et Nicolas Sarkozy. (REUTERS)

Des expériences ont par ailleurs montré que des chimpanzés peuvent coopérer même sans être directement intéressés à la coopération, par souci de maintenir la relation à long terme. Une autre montre qu’à bénéfice égal pour lui, un chimpanzé choisira la solution qui procure un avantage comparable à son comparse plutôt que celle qui ne bénéficiera qu’à lui. 

L’impartialité

En cas de conflit, les interventions du mâle alpha se caractérisent par leur impartialité. Ses amitiés, habituellement si importantes, n’ont pas leur place ici. En général il prend la défense de la victime et s’assure du retour de la paix en offrant de la sécurité aux moins avantagés du groupe.

François Mitterrand dans une posture apaisante et protectrice des victimes. Une image qui évoque l'importance d'être impartial et protecteur des victimes pour un leader.
Le président de la République François Mitterrand vient se joindre aux milliers de personnes qui participent à la manifestation organisée pour protester contre le racisme et l'antisémitisme à la suite de la profanation du cimetière juif de Carpentras. Créateur : PATRICK HERTZOG | Crédits : AFP

La réconciliation systématique après les conflits.

Après un conflit, si dur soit-il, les chimpanzés tendent la main à leur adversaire et se réconcilient dans de grandes embrassades avant que le groupe ne se sépare, afin de réparer la relation endommagée par le conflit et d’assurer le retour de la stabilité dans le groupe.

Nelson Mandela et Frederick De Clercq incarnent la réconciliation après l'abolition de l'apartheid.
Le 10 mai 1994 à Pretoria, lors du discours d'investiture de Nelson Mandela : "Le moment est venu de réduire les abîmes qui nous séparent." © REUTERS/Juda Ngwenya in Paris-Match 17 juin 2019 

Chez les chimpanzés, le pouvoir ne se conquiert ni ne se conserve seul contre tous.

Être chef implique de nombreuses obligations : satisfaire ses partenaires, maintenir la paix dans le groupe et consoler les malheureux. C’est à ce prix que le leader stabilise son propre pouvoir. La manière dont le groupe traite ses anciens dirigeants découle directement de la manière dont il s’est comporté quand il était le chef. Un chef empathique et juste sera traité avec égards par le groupe une fois qu’il aura perdu son pouvoir. Un chef tyrannique aura généralement une fin beaucoup moins enviable. 

Saddam Hussein, la fin d'un dictateur. Une image qui montre que l'exercice du leadership a des conséquences à long terme et qu'il importe de se faire apprécier en prévision du moment où on n'aura plus le pouvoir.
Déboulonnage de la statue de Saddam Hussein, in la Presse 6 janvier 2011

Quelques autres parallèles troublants entre éthologie et leadership

Chez les babouins, conserver son pouvoir est une source de stress sans trêve.

La position de mâle alpha étant particulièrement enviable, le détenteur de cette position doit en permanence se méfier et s’assurer qu’aucune coalition ne se monte contre lui. Cela se traduit par un niveau de stress beaucoup plus élevé que celui des mâles de haut rang, et comparable à celui des individus de rang inférieur, qui subissent le plus d’avanies. Vous noterez qu’être challenger, question stress, c’est beaucoup plus cool.

Conserver le pouvoir est stressant. Chercher à le conquérir, beaucoup moins. Illustration par une étude éthologique et une scène politique.
À gauche : Schéma tiré du TED talk de Frans de Waal « la science surprenante des mâles alpha ». 
À droite : Le député de la Nièvre et leader des "frondeurs" du PS Christian Paul et Arnaud Montebourg, le 28 mai 2012
Thierry Zoccolan, AFP in France 24, 10 septembre 2016.

Chez les bonobos, ce sont les femelles qui se coalisent pour exercer le pouvoir sur le groupe.

Les bonobos forment une société égalitaire et empathique, où l’individu alpha est généralement une femelle. La manière dont elles conquièrent et exercent le pouvoir est encore un mystère, semble-t-il. Ce qu’on sait, c’est qu’elles forment des coalitions fondées sur l’amitié plutôt que sur les liens familiaux, et qu’elles sont capables de devenir très agressives quand il s’agit de se faire respecter.

Jacinda Ardern et Sanna Marin, Premières ministres de Nouvelle-Zélmande et de Finlande, répondent à la question sexiste d'un journaliste. 29 novembre 2022

Chez les chimpanzés, une femme ne peut pas avoir la place de chef du groupe, mais il y a une femelle alpha dans chaque groupe et elle y exerce un pouvoir qui peut être considérable.

Angela Merkel seule dirigeante au milieu de ses homologues du G7, calme les ardeurs de Donald Trump. Une image forte de leadership féminin.
Angela Merkel s’interpose entre Donald Trump et le reste des membres du G7 - AFP, in Nord-Eclair le 10 juin 2018

Chez les capucins : à travail égal, salaire égal !

N'en déplaise à certains, le rire n'est pas le propre de l'homme, le besoin de justice non plus. Donnez un salaire différent à deux capucins à qui vous avez donné le même travail à faire, comme l'ont tenté Frans de Waal et Sarah Brosnan à de multiples reprises avec des singes de plusieurs espèces, et vous ne serez pas déçu du résultat ! L’inéquité, dès qu’elle est connue devient intolérable et provoque des comportements de révolte.

Une manifestation de femmes réclamant l'égalité salariale. Ce désir de justice n'est pas propre aux humains, on l'observe aussi chez les singes.
Manifestation à Paris pour l'égalité des salaires hommes-femmes, le 1er mai 2011.
Photo Miguel Medina. AFP In Libération,  28 février 2019

Une expérience avec des chimpanzés a même montré que certains d’entre eux sont prêts à se priver de récompense jusqu’à ce que leur copain, qui a fait le même travail qu’eux, reçoive la même récompense !

Chez les macaques : en dictature, on sourit par soumission

La société des macaques est dictatoriale. Chez eux, « c’est le dominé qui sourit au dominant, jamais l’inverse. Un peu comme lorsque nous rions aux blagues du patron » commente Frans de Waal. C’est beaucoup moins vrai chez d’autres singes, notamment chez les chimpanzés qui peuvent sourire pour séduire ou rassurer.

Vladimir Poutine et Alexandre Loukachenko, son allié et obligé biélorusse.Sur cette photo, le dominant est sérieux et le dominé sourit, ce qui illustre le rapport de forces entre les deux
Vladimir Poutine pousse son avantage sur Alexandre Loukachenko, titre Le Temps, 14 Septembre 2020. © Mikhail Klimentyev, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP)

Pour conclure, ces parallèles entre éthologie et leadership sont-il vraiment fantaisistes ?

Les émotions sont des phénomènes biologiques qui déclenchent des comportements. C’est aujourd’hui prouvé : tous les animaux en éprouvent, à des degrés divers, car ils en ont besoin pour survivre, au même titre que nous.  Les grands singes, notamment les chimpanzés, sont même capables de les contrôler ou de les dissimuler, par ruse ou par embarras. 

D'un point de vue évolutionniste,  cette combinaison entre émotivité, sociabilité et appétit de pouvoir est commune à l'humain et aux primates. Cela  rend le parallèle particulièrement fécond pour aborder différents aspects comportementaux du leadership, dans lesquels émotions, relations et rapports de pouvoir tiennent une place prépondérante, au-delà du contexte historique ou technique.

Si vous cherchez des références sérieuses en matière d'éthologie et de leadership

À voir, à écouter 

À lire également

  • Frans De Waal, La politique du chimpanzé, Odile Jacob, 1982.
  • Frans de Waal, La dernière étreinte. Les liens qui libèrent, 2018. 

Enfin, à lire sur Bridge the Gap

l'illusion du leadership sans pouvoir

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